Dictionnaire pratique et historique de la musique/Marseillaise

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Marseillaise, n. f. * Chant national français, composé le 25 avril 1792 par Rouget de l’Isle, officier de la garnison de Strasbourg, comme Chant de guerre pour l’armée du Rhin. Exécuté bientôt après à Paris par les volontaires marseillais lors de leur arrivée dans la capitale, il y reçut le nom d’Hymne des Marseillais ou Marseillaise, qu’il a toujours conservé. || La M., malgré l’emploi qui en a été fait dans diverses révolutions, n’a jamais été destinée à être un hymne révolutionnaire : c’est un chant patriotique, écrit sous l’émotion de l’agression prussienne, et visant à soutenir ou à enflammer le courage de la garnison de Strasbourg ; il est bon de rappeler les circonstances de cette création. Rouget de l’Isle, officier d’artillerie, alors en garnison à Strasbourg, était l’un de ces amateurs que l’on rencontre de tous temps dans les salons ; doué quelque peu pour la poésie légère, dont il a laissé un certain nombre de pièces, assez faibles d’ailleurs, et jouant médiocrement du violon, il fut engagé par le baron Dietrich, maire de Strasbourg, chez qui il passait la soirée du 24 avril 1792, à écrire un hymne patriotique pour les soldats. Rentré chez lui, il se mit à l’œuvre, et, dès le lendemain matin, de bonne heure, apportait chez Dietrich le résultat de son travail, paroles et musique, que Mlle Dietrich accompagna séance tenante au piano, l’auteur jouant l’air sur son violon. On a pu établir avec certitude, grâce aux recherches minutieuses de MM. Constant Pierre et Julien Tiersot, au milieu de nombreux récits controuvés et popularisés, et l’origine de la M., et les sources d’inspiration de Rouget de l’Isle. Comme paroles, la proclamation que le maire de Strasbourg venait de faire afficher sur les murs de la ville lui servit de plan et de base : des expressions entières de Dietrich passèrent ainsi dans le chant de guerre de l’officier. Quant à la musique, on a beaucoup discuté pour savoir si Rouget de l’Isle, à son insu ou avec intention, n’a pas utilisé une composition de Grisons, maître de chapelle de Saint-Omer, qui avait remis en musique, pour chœur à quatre voix et orchestres le cantique des jeunes Israélites dans Esther, « Roi, chassez la calomnie », dont des fragments entiers sont communs à ce chœur, et à la M. Mais on a remarqué à juste titre que si Grisons a été maître de chapelle de cette église plusieurs années avant la Révolution, (au moins de 1784 à 1787), il y a aussi été chargé de la musique lors de l’institution des « fêtes décadaires ». Or, son chœur ne figure pas dans les anciens catalogues de ses œuvres, que possédait la maîtrise de Saint-Omer, avant la Révolution, et, de plus, les phrases de la M. qu’il contient reproduisent cette mélodie non pas telle qu’elle est sortie des mains de Rouget de Lisle, mais telle que divers musiciens l’avaient transformée pour différentes fêtes et cérémonies patriotiques. Il semble donc certain que Grisons n’a fait que s’inspirer de la M. pour une célébration d’une de ces fêtes, entre les années 1792 et 1794.

Voici d’ailleurs la mélodie originale de la M. notablement inférieure, il faut le dire, au « texte reçu », et lentement élaboré dans les cents années qui suivirent, puisque c’est seulement de 1887 que date la fixation définitive de cet hymne national, à la suite des travaux de la commission spéciale nommée à cet effet par le gouvernement français :

La Marseillaise (texte original).

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Poétiquement, à part l’élan de la première strophe, l’œuvre de Rouget de l’Isle est très médiocre. On n’en exécute guère que cette strophe, Allons enfants de la patrie, à laquelle on en joint deux autres qui lui furent ajoutées, et leur sont infiniment supérieures, celle « des enfants », Nous entrerons dans la carrière, due à l’abbé Pessoneaux, et « l’invocation » superbe Amour sacré de la patrie, qui y fut introduite lors d’une représentation à l’Opéra, peu de temps après, dans l’Offrande à la Liberté, de Gossec.

Musicalement, la M. répond admirablement à son objet. L’air, tel qu’il est reçu dans le répertoire officiel français, a fixé les quelques variantes introduites au cours du xixe s., dans le chant original, et qui en ont plus vigoureusement souligné l’expression. On n’a pas besoin de rappeler le bel emploi qu’en fit un maître allemand, Schumann, dans le lied si touchant des Deux Grenadiers, premier exemple, croyons-nous, de l’utilisation des motifs de la M. dans la musique concertante, emploi suivi depuis par divers compositeurs.