Dictionnaire pratique et historique de la musique/Marche
Marche, n. f. 1. Air ou morceau de musique instrumentale rythmé sur l’allure normale du pas de l’homme et destiné à accompagner et à diriger la marche d’une troupe ou d’un cortège, militaire, civil ou religieux. La destination la plus fréquente de la M. est militaire. De tous temps, des instruments de musique ont précédé les armées et servi, non seulement à rallier les soldats par des signaux, mais à soutenir la régularité de leur pas. Les plus anciens rythmes de M. dont on possède la notation sont ceux de l’infanterie française et des troupes suisses au service de la France, pendant le xvie s.
Ils sont notés pour le tambour par l’auteur de l’Orchésographie
(1588) qui mentionne la coutume
de les faire accompagner par des
airs de fifre, construits « à plaisir »,
c’est-à-dire improvisés par l’exécutant,
d’après les formules convenues.
Le rythme de la M. suisse se reconnaît
dans un passage de la chanson de
Jannequin sur La Bataille de Marignan
(1515). Lorsque furent organisées en
France, sous Louis xiv, les bandes de
musique militaire, Lulli composa des
modèles de M., pour différents corps
de troupe. Ces pièces, dans l’une desquelles
l’ancienne batterie de la M.
française est exactement suivie, sont
ordinairement divisées en deux parties
successives, de 8 mesures chacune,
avec reprises :
Le rythme binaire de la succession régulière des pas, s’exprimait tantôt sous les mesures chiffrées à 2 et à 4 temps, tantôt sous celles, dites composées, qui admettaient le décompte des triolets et se chiffraient à 6/8 ou 12/8. Le plan, très bref, de Lulli, fut longtemps suivi. La forme avec da capo dans laquelle une première partie, divisée en deux reprises, se répète pour conclure après une partie centrale de même étendue, formant contraste mélodique avec elle, ainsi que dans le menuet symphonique avec trio, fut adoptée à l’époque classique. À l’heure actuelle, un répertoire national de M. militaires existe en chaque pays et comprend fréquemment des morceaux spécialement composés pour un corps ou pour un régiment. Entre les M. françaises qui sont devenues le plus justement populaires, il suffit de rappeler la M. de Sambre-et-Meuse, de Planquette (vers 1860) et la M. lorraine de Ganne (vers 1895). En dehors de la destination immédiatement militaire, le nombre est infini des M. composées en vue de buts divers pour toutes les combinaisons d’instruments. Berlioz est un des maîtres qui ont affectionné cette forme : après la M. au supplice, de la Symphonie fantastique (1828) et la M. des pèlerins, de la symphonie Harold en Italie (1834), il a écrit la M. de sa Symphonie funèbre et triomphale (1834), la M. des drapeaux, de son Te Deum (1849), la M. hongroise de La Damnation de Faust (1848), qui est un arrangement de la M. de Racoczy, la M. funèbre de Hamlet (1848), la M. troyenne des Troyens à Carthage (1863). Introduite dès l’origine dans l’opéra et le ballet pour l’accompagnement musical des entrées et des défilés, la M. y a revêtu tantôt la forme usuelle avec da capo, comme la M. du Prophète, de Meyerbeer (1849), et tantôt une forme développée en couplets reliés par un thème principal, et qui ont pour mission de caractériser des groupes différents de personnages, comme la M. des corporations, dans Les Maîtres chanteurs, de R. Wagner (1868). Les titres et les destinations spéciales données à des M. instrumentales n’en modifient pas le plan, mais le style. C’est ainsi que les deux plus célèbres M. funèbres, celles de la Symphonie héroïque, de Beethoven (1803) et celle qui fait partie de la 12e Sonate pour piano, de Chopin (1840), se conforment à la symétrie pour ainsi dire obligatoire du da capo, en animant cette forme d’une expression intense de gravité douloureuse ou de morne désolation. Entre les M. religieuses, aucune ne surpasse la noble gravité de celle d’Alceste, de Gluck (1776). La M. du Songe d’une nuit d’été, de Mendelssohn, que l’on a coutume d’intituler M. nuptiale est une brillante musique de cortège dans le style d’opéra et dans la forme à couplets. On a traduit inexactement par M. aux flambeaux le titre de Fackeltanze de Meyerbeer, sortes de danses composées pour des cérémonies traditionnelles à la cour de Prusse et dont l’une, au moins, a été jadis entendue dans les concerts. || 2. On appelle M. harmonique une série de progressions, ou répétitions d’une formule harmonique à un intervalle supérieur ou inférieur. La M. harmonique est dite ascendante ou descendante, selon le sens où s’effectuent les progressions, unitonique, lorsqu’elle s’accomplit sans changement de ton, modulante, lorsqu’elle parcourt plusieurs tons avant sa terminaison. Afin de conserver la symétrie des parties harmoniques de progression en progression, on y permet l’usage d’intervalles ordinairement défendus, tels que les octaves et les quintes cachées. || 3 On donnait avant le xviie s. le nom de M. aux touches du clavier.