Dictionnaire pratique et historique de la musique/Madrigal

Madrigal, n. m. Genre de poésie répandu en Italie depuis le xive s., expressément destiné au chant et formé à cette époque de 2 ou 3 strophes renfermant chacune 2 ou 4 vers de onze pieds, sur des sujets idylliques ou pastoraux. Affranchi bientôt de ces règles primitives, le M. poétique se présente depuis le xve s. en des coupes et des dimensions variées. Le M. musical a dès le commencement ce caractère particulier d’être sous le rapport mélodique, librement inventé, sans emprunt obligé à un thème antérieur, sans « thème donné ». Ses premiers compositeurs, Gherardello, Lorenzo, de Florence, Nicola Propositi, le traitent dans un style très simple, rapproché de celui des Frottoles et inspiré de l’art populaire. Les contrepointistes y apportent des développements plus considérables et des procédés plus raffinés. Le temps de sa plus grande vogue et de sa perfection commence avec les œuvres d’Arcadelt, en 1536. Il n’est guère, pendant la centaine d’années qui suivit, de musicien italien ou ayant habité l’Italie, qui ne contribuât, par un nombre souvent élevé de pièces, à l’immense répertoire de M. Les dispositions ordinaires en étaient à 4 ou 5 voix, les formes, tantôt strophiques, avec reprises et refrains, tantôt analogues, quant au plan, à celles du motet, avec deux ou plusieurs parties différentes, qui se succédaient. On ne s’astreignait plus, dans le choix des textes, à un genre spécial de poésie : on puisait dans les sonnets, les Sestine, les Canzoni, des célèbres versificateurs, la matière verbale des morceaux compris sous l’appellation générale de M. C’est ainsi que les Vergini de Pétrarque furent traités en M. spirituels par Guillaume Dufay, suivi bientôt de toute une pléïade de compositeurs, qui écrivirent sur les mêmes paroles. Comme en France la Chanson spirituelle, que cultivèrent surtout les musiciens huguenots, en Italie le M. spirituel fut un essai de réaction contre la prédominance des sujets érotiques ou licencieux dans la musique vocale de chambre. Les noms d’Anerio, de Palestrina, illustrent cette branche du répertoire madrigalesque. À l’opposé, le genre comportait une variété comique, satirique ou burlesque : un morceau d’Al. Striggio, Il Cicalamento delle donne (1567) forme le pendant du Caquet des femmes de Jannequin ; le Festino d’Adriano Banchieri (1608) consiste en une série de M. à chanter en carnaval et contient une pièce remplie d’imitations de cris d’animaux. On désignait volontiers par le diminutif madrigaletti des pièces légères de peu d’étendu. C’est dans leurs M. que les plus hardis compositeurs du xvie s. italien, Cyprien de Rore, Luca Marenzio, Gesualdo, prince de Venosa, tentèrent les innovations harmoniques et les essais suivis de chromatisme incompatibles avec la modalité ecclésiastique et le style de motet. Monteverde fut l’inventeur, du moins le plus génial représentant d’une forme nouvelle de M. établie vers 1620, le M. concerté, « in stilo concitato », qui admettait des soli et un accompagnement instrumental et qui conduisit à la cantate ; son célèbre morceau : le Combat de Tancrède et de Clorinde, parut en 1638 dans son recueil de M. guerrieri. On exécutait des M. comme intermèdes dans les représentations théâtrales italiennes de la fin du xvie s. et ce fait a porté quelques écrivains à intituler « opéras madrigalesques » les premiers drames chantés : mais cette appellation n’est pas justifiée, le style polyphonique du véritable M. y étant abandonné ou n’y apparaissant que d’une façon accessoire, dans des fragments destinés au chœur. De l’Italie, le nom et le genre de M. passèrent en Angleterre, où la publication d’un grand recueil intitulé Musica Transalpina, en 1588, formé de M. célèbres traduits en anglais, suscita la composition de pièces analogues et portant le même titre, par les meilleurs maîtres britanniques, W. Byrd, Thomas Morley, Orlando Gibbons, et autres. Tandis que dans son pays d’origine, le terme de M. disparaissait de l’usage, et qu’en France il devenait le titre d’une petite poésie « ingénieuse et galante », il fut adopté par la langue anglaise pour désigner toute pièce sérieuse de musique vocale polyphonique, non accompagnée. La plus ancienne de toutes les sociétés musicales de l’Europe, fondée à Londres en 1741 et toujours florissante jusqu’à l’heure actuelle, a pour titre The M. Society et pour objet la culture par la composition et l’exécution, du style polyphonique vocal, qui n’a pas cessé d’être en honneur chez les musiciens anglais. C’est sans rattachement aux anciennes traditions du genre que l’appellation de M. a désigné, chez les modernes, des mélodies à voix seule et même quelquefois de petites pièces instrumentales. Cependant le M. à la musique de Ch. Bordes (1895) est une exquise composition à quatre voix seules.