Dictionnaire pratique et historique de la musique/Leit-motiv
Leit-motiv, n. m. all., plur. leit-motive, littér. motif conducteur. Nom donné par Richard Wagner et adopté d’après lui pour des thèmes ou fragments mélodiques ou harmoniques construits spécialement en vue de caractériser les personnages, les objets ou les situations d’une action dramatique et dont le retour et les combinaisons accompagnent, commentent et dirigent les péripéties du drame et le développement de la musique. Quelques musiciens, avant Wagner, avaient pressenti l’usage du motif conducteur et ses ressources pour l’expression ; Grétry a rappelé neuf fois dans la partition de Richard Cœur de Lion (1785) le thème de la romance Une fièvre brûlante et a, dans ses Essais sur la Musique, souligné l’intention qu’il y avait attachée ; la ritournelle en musette qui personnifie la sage Jeannette dans le quatuor de Joconde, de Nicolo (1814), reparaît au dernier morceau de l’opéra, lorsque s’apprête le couronnement de la rosière ; Berlioz, dans la Symphonie fantastique (1828) a personnifié « la bien-aimée » par une mélodie qui reparaît de morceau en morceau ; à l’acte i des Troyens à Carthage (1865), il place dans le duo de Didon et Anna un pressentiment mélodique de la Marche troyenne qui annonce la prochaine arrivée d’Énée. Cette anticipation d’un motif essentiel se trouvait déjà dans Le Prophète, de Meyerbeer (1849), mais ces exemples fugitifs n’enlèvent rien à la réalité de l’invention de Wagner, qui a le premier fait du L.-M. un usage suivi et, dans ses derniers grands ouvrages, systématique. Les livres qui ont été publiés pour servir de guides dans l’audition ou la lecture de ses partitions dressent pour chacune d’elles le catalogue noté et numéroté des L.-M. qu’elle contient ou plutôt, qui en forment le fond, car leurs retours, incessamment amenés par le déroulement ou les allusions du texte poétique, constituent presque sans mélange, et du moins sans interruption, le tissu orchestral, si riche et si coloré, sur lequel repose la déclamation chantée. Le nombre des L.-M. est de 120 pour la tétralogie des Niebelungen, de 36 seulement pour Parsifal. Ils sont en général d’une extrême brièveté qui contribue à les fixer dans la mémoire des auditeurs.
Leurs formes, infiniment
variées, fortement contrastées, et qui
affectent souvent une signification en
quelque sorte plastique, s’approprient
avec autant de rigueur que d’adresse
au rôle expressif qu’ils ont à remplir.
Leurs réapparitions sont littérales et
leur enchaînement s’opère par soudures,
sans variation, développement
ni travail thématique proprement dit.
Le style symphonique qui résulte de
l’emploi intensif des L.-M., et qui est
proprement le style wagnérien, ressemble
donc à un discours dont l’éloquence
s’éclaire d’instant en instant
du rappel de certaines sentences fondamentales,
étroitement reliées entre
elles par des propositions accessoires
qui n’en sont pas le commentaire
littéral mais qui leur servent de jonction
et en préparent la répétition
nécessaire. Après Wagner, aucun compositeur,
parmi ceux mêmes qui se
déclaraient hostiles à ses œuvres et à
son système, n’a eu garde de négliger
le puissant moyen d’expression
qu’offrait l’emploi des L.-M. De tous
les maîtres français modernes V. d’Indy
est celui qui en a fait l’usage le plus
étendu mais aussi le plus personnel,
car il y a introduit des conditions de
tonalité négligées ou presque ignorées
par Wagner, ainsi qu’une appropriation
à des buts expressifs du
« travail thématique » ordinairement
réservé au style symphonique. Le
thème caractéristique de Fervaal,
dans le drame de ce nom (1897) :
est, par exemple, pressenti sous cette
forme rythmiquement et mélodiquement
altérée, à la fin du prologue,
alors que le héros, blessé, est emporté
sur une civière :
Dans la musique instrumentale, à programme, le L.-M., largement employé aujourd’hui, conserve l’acception que lui donnait Berlioz dès 1828. La symphonie de Rimsky-Korsakow, Antar (op. 9) offre un des plus beaux exemples de la double signification, expressive et thématique, donnée au motif conducteur, dans une œuvre purement instrumentale.