Dictionnaire pratique et historique de la musique/Guitare
Guitare, n. f. Instrument à cordes
pincées, à manche, dont la caisse est
formée par une table et un fond plat
ou très légèrement bombé, réunis par
des éclisses d’égale hauteur sur tout
son pourtour ; elle présente la figure
d’une sorte de 8, avec des échancrures
arrondies, beaucoup moins prononcées
que celles du violon et des autres
instruments à archet. Le manche est
muni de sillets qui le séparent en cases
préparées pour le placement des doigts
de la main gauche. Le cheviller très
légèrement élargi est incliné en arrière ;
la table est percée au milieu de sa
largeur et vers la partie supérieure
du 8 d’une ouïe ou rose circulaire
au-dessus de laquelle passent les
cordes, pour s’attacher, vers le point
le plus large de la caisse, à un cordier
plat. Les dimensions de la G. et le
nombre de ses cordes, ainsi que son ornementation et les détails secondaires
de sa construction, ont varié
selon les temps et les lieux.
Guitare.
Comme le
luth, la G. est d’origine
orientale. Son
introduction dans
l’Europe du moyen
âge remonte
à l’époque de
l’établissement
des Maures
en Espagne.
On croit
apercevoir sa
plus ancienne représentation figurée
dans une sculpture du portail de Saint-Jacques-de-Compostelle,
qui date de
1188. Au siècle suivant, se confirme
l’existence dans la même région de
plusieurs sortes de vièles sans archet,
plus tard appelées en espagnol, vihuela
da mano, vielle à main, par opposition
à la vihuela da arco, vièle à archet. La
provenance hispano-mauresque de la
G. est indiquée par le nom de « Guitare
moresque », qu’elle porte en
France dès le xiiie s. Tinctoris (vers
1484) la mentionne comme propre
aux Catalans. Lorsqu’elle pénètre en
Angleterre, sous Henry viii, on
l’appelle Gittern, ou « vièle espagnole ».
Au xvie s., en effet, les diverses
familles d’instruments à cordes pincées
à manche, G., luth, pandore, sont
cultivées avec prédilection dans la
péninsule ibérique. Luys Milan (1535),
Enrique de Valderrabano (1547) publient
à Valence et à Valladolid des
livres de pièces pour la G. ; Bermudo
(1555) décrit cet instrument comme
monté de 4 cordes, quelquefois, et
« nouvellement », de 5. Le type connu
en France, à cette époque, sous le
nom de « G. espagnole » pour lequel
Adrien Le Roy publiait cinq recueils
de pièces (1551-1554), était à 4 cordes.
Introduite en même temps en Italie,
à ce qu’il semble, par la Sicile, la G.
s’acclimata plus tardivement en Allemagne
où la Quinterne, à 4 cordes
doubles, mentionnée par Prætorius
(1619) ne paraît pas correspondre
entièrement à son modèle générique.
Pendant le xviie s., la G. demeura en
faveur en France, mais sans pouvoir
disputer la préséance au luth. Mersenne
(1636) la décrit comme montée
de 5 rangs de cordes doubles, ou
chœurs : l’instrument du luthier
Voboam, qui existe au Musée de
Cluny, répond à cette description. Le
plus illustre amateur de guitare du
grand siècle fut Louis xiv, qui avait
reçu les leçons de Jourdan de la Salle
et dont la princesse Palatine disait
qu’il exécutait « mieux qu’un maître » :
Francisque Corbet, qui avait établi
en Angleterre sa réputation de virtuose,
lui dédia son œuvre La Guitare
royale (1671). Jusque dans le milieu
du xviiie s., on vanta « l’agrément
infini » que prenait la G. « entre les
mains des dames » et son mérite particulier
pour l’accompagnement du
chant à demi-voix, que Lagarde et
Jélyotte avaient mis à la mode. C’est
pour des amateurs de haut vol que
les luthiers établissaient les beaux
instruments conservés dans les musées
et les collections et qui sont ornés
d’incrustation de nacre, d’ivoire,
d’écaille et de bois précieux ; lorsque
la difficulté de l’exécution sur le luth
eut fait abandonner ce rival plus riche,
plus puissant, mais plus exigeant
aussi, que la G., quelques corps de
luth furent employés à la construction
de G.-luths, instruments hybrides à
dos bombé, à manche et cheviller
de G. Deux variétés, plus apparentes
que réelles, avaient pris les noms de G.
à l’espagnole et à la française : leur
accord, sauf les variantes enseignées
par certains maîtres, tels que Campion
(1705), était semblable, et la différence
consistait dans l’ordre assigné aux
cordes, qui se comptaient en descendant
pour la G. espagnole, en montant
pour la française. Cet ordre, exprimé
par la notation chiffrée en tablature,
y engendrait la même différence qui
existait pour le luth entre la méthode
italienne et la française. (Voy. Tablature.)
Lorsque furent abandonnés ces
systèmes particuliers d’écriture, on
adopta, pour leur traduction en notation
musicale, la clef de sol, plus
connue du gros public, mais qui, au
lieu de représenter les sons réels,
transposait de deux octaves à l’aigu
toute la musique de guitare :
La corde grave (mi) ou 6e corde, fut ajoutée par un luthier allemand, selon certains auteurs, vers 1790, par le Français Marchal, selon d’autres, un peu plus tard ; elle était en tous cas connue en 1799 du guitariste espagnol Ferandiere, qui en fait mention dans sa Méthode. Les cordes de la G. se pincent du bout des doigts de la main droite, sans plectre, le pouce atteignant la corde la plus grave, l’index, le médius et l’annulaire attaquant les cordes moyennes et aiguës et le petit doigt s’appuyant sur le bord extérieur de la table, tandis que les doigts de la main gauche exercent, comme dans le jeu de tous les instruments à manche, les pressions nécessaires sur les cordes, dans les emplacements marqués par les sillets. Les sons harmoniques s’obtiennent en effleurant la corde à la longueur voulue. Un guitariste habile obtient de son instrument des nuances délicates d’intensité, des effets piquants de vitesse et de légèreté et des accords pleins de 3 et 4 sons. Mais la faible sonorité de la G. a nui à son emploi dans la musique de chambre, et l’a souvent confinée dans l’accompagnement de la romance et de la chanson à voix seule. Son rôle, sous ce rapport, inauguré en France par les chanteurs Lagarde et Jélyotte, dans le xviiie s., devint prépondérant sous le Directoire et l’Empire, et ne se termina qu’à l’époque romantique. La G. a été quelquefois introduite dans l’orchestre d’opéra, à titre pittoresque, notamment dans la sérénade du Barbier de Séville, de Rossini (1816), et dans celle de Don Pasquale, de Donizetti (1843). Elle a possédé quelques virtuoses fameux, l’Espagnol Sor (1780-1839), mort à Paris, les italiens Carulli (1770 -1841), Carcassi (1792-1853), morts également à Paris, Guiliani (1re moitié du xixe s.). Mais c’est dans la musique nationale et populaire de l’Espagne que son règne séculaire s’est établi et maintenu sans partage et sans interruption. Seule, ou groupée en petits orchestres, mélangée aux voix ou soutenue par le battement des castagnettes ou du tambour de basque, elle accompagne les rythmes nerveux et variés des danses provinciales et brode une ornementation légère et charmante sur les anciennes mélodies. Les compositeurs qui ont essayé de peindre par des sons l’ardente vie musicale du peuple espagnol se sont souvent inspirés du style de guitare et en ont imité, par d’autres moyens sonores, quelques effets. La fantaisie de Chabrier, España (1887), le Caprice espagnol de Rimsky-Korsakow (1883), pour orchestre, et la belle suite des pièces d’Albeniz pour le piano, qui porte le titre général d’Iberia (1903) en contiennent des exemples heureux.