Dictionnaire pratique et historique de la musique/Clavier

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Clavier, n. m. Partie de l’orgue, du piano, du clavecin, du carillon, etc., formée de la réunion des touches, primitivement appelées claves, qui, sous la pression des mains ou des pieds, commandent le mécanisme producteur du son. Quelques représentations figurées des claviers de régales, ou orgues portatives, que nous ont laissées les peintres de la fin du moyen âge, montrent les touches, en forme de bâtonnets, sortant du corps de l’instrument, sans châssis ni soutien. Cette construction est restée partiellement en usage pour les Cl. de carillons.

Clavier primitif de régale.
Clavier primitif de régale.
Clavier primitif de régale.


Les mêmes documents font apercevoir la nature exclusivement diatonique de certains Cl. d’orgue, dont Prætorius (1619) cite encore des exemples et qui ne comprenaient par octave qu’une seule note altérée, le B rond, ou si b. Mais dès le xive s. existaient cependant des Cl. chromatiques de 12 touches par octave, disposées, ainsi que de nos jours, sur deux rangs mélangés, sept d’entre elles, correspondant aux sons de la gamme diatonique, étant de plus grande longueur, et les 5 autres, appelées feintes, placées un peu en retrait, avec une légère différence de niveau, correspondant aux notes altérées, classées dans la musica ficta. La dimension des touches, ou marches, variait assez sensiblement pour que la largueur passât, selon l’instrument, de 0 m. 144 à 0 m. 180 par octave. On distinguait non seulement par leur position, mais par leur couleur, les feintes des notes diatoniques, celles-ci étant généralement de bois blanc, et les autres d’ébène ou de bois noirci, comme dans les Cl. modernes, et parfois inversement. Les instruments de luxe comportaient des touches revêtues d’argent, de nacre, d’ivoire ou de bois gravé, quelquefois très désagréables au toucher. L’étendue du Cl., suivant le genre ou l’importance de l’instrument, a varié de une octave (régales) à quatre (orgues ou clavecins) dès le xve s. et a suivi depuis ce temps une progression constante. Les clavecins « à ravalement » de Dumont, avaient 5 octaves. Le piano de Broadwood, de Londres, que jouait Beethoven en 1817, en avait six, de ut en ut. Le Cl. de 7 octaves est normal aujourd’hui. À l’orgue, on est passé peu à peu du primitif Cl. de régales à des systèmes de 2, 3, 4 et 5 Cl. manuels comptant chacun 7 octaves, ou 67 touches, plus un Cl. de pédales de 32 notes. Les Cl. manuels sont étagés à des distances et à des hauteurs calculées pour la commodité du jeu. Le Cl. de pédales fonctionnant par simple tirasse ou appel des notes du Cl. manuel était en usage dès le xve s. Mais le Cl. de pédales indépendant, par lequel on actionne sans le secours des mains un nombre donné de notes et de jeux était une nouveauté en France au temps de Titelouze (1623) et ne fut acclimaté en Angleterre qu’en 1790.

Claviers de l’orgue de Notre-Dame de Paris (1860).
Claviers de l’orgue de Notre-Dame de Paris (1860).
Claviers de l’orgue de Notre-Dame de Paris (1860).


Les marches y consistaient en courtes chevilles établies sur deux rangs et inclinées vers l’organiste ; on les remplaça avec avantage par les leviers allongés des facteurs allemands, qui permettent la liaison des sons par l’emploi alterné, pour les touches voisines, de la pointe du pied et du talon.

Claviers d’un orgue électrique moderne.
Claviers d’un orgue électrique moderne.
Claviers d’un orgue électrique moderne.


Dans tous les Cl. s’est maintenu l’ordre de succession chromatique adopté depuis l’origine et qui intercale en leur rang les 5 touches, colorées et raccourcies, des notes altérées, parmi les 7 touches blanches et allongées de la gamme naturelle. Des modifications à cet ordre ont été plusieurs fois proposées par des théoriciens désireux d’introduire un partage des sons de la gamme autre que celui du tempérament (voy. ce mot), ou par des inventeurs se flattant de faciliter le jeu. Au premier ordre d’idées appartenaient l’arcicembalo de Vicentino (1555), le clavicembalo de l’organiste Luython, qui avait 77 touches, en trois claviers, pour quatre octaves, et devait permettre l’usage des trois genres, diatonique, chromatique et enharmonique. Les tentatives analogues de l’époque moderne sont pareillement restées à l’état de curiosités scientifiques. On y range les Cl. de Bosanquet (1848 et 1853), qui divisaient l’octave en 48 ou en 53 sons, celui de Perronet Thompson (1850), en 40 sons. Le Cl. de Winzenhörlein, dit Vincent, excita quelque sensation en Allemagne (1874) ; qualifié de chromatique, il disposait deux rangées égales de touches de manière à fournir chacune une gamme de six tons entiers :

touches noires :
ut   mi   fa   sol   la   si

touches blanches :
ut   ré   mi   fa   la   si   ut.

Le Cl. du facteur hongrois Paul von Jankó (1882) avait pour but, en réduisant la largeur occupée par les touches, de permettre l’exécution des accords plaqués de douzième, treizième, etc. ; il présentait un aspect analogue à celui de la machine à écrire, avec six rangs de courtes touches. Le double Cl. renversé de Mangeot (1878), que jouait le pianiste Zarembski, superposait dans une seule caisse deux mécanismes complets de pianos établis en sens contraire, l’un selon l’ordre habituel, l’autre ayant les sons graves à droite, les sons aigus à gauche du virtuose. Le Cl. transpositeur, dont l’adaptation à l’harmonium est fréquente, consiste en un second Cl. mobile qu’un système de glissières permet de transporter à un ou plusieurs degrés au-dessus ou au-dessous du Cl. normal ; ses touches transmettent à celui-ci la pression exercée par les doigts de l’exécutant, qui joue dans un autre ton sans opérer de transposition mentale ni écrite, comme s’il se servait d’un corps de rechange. Le Cl. muet que l’on fabrique pour soulager les parents et les voisins du bruit des études enfantines est, comme son nom l’indique, une boîte garnie de touches semblables à celles d’un piano, mais qui n’agissent point sur un mécanisme sonore ; il n’est d’aucune utilité pédagogique, puisqu’il néglige l’éducation de l’oreille et celle de la sensibilité tactile. || Le mot Cl. ou Klavier (pron. clafire) désigne dans la langue allemande, depuis le xviie s., tous les instruments à cordes et à Cl. en sorte que la spécification du clavecin ou clavicymbel et du clavicorde reste souvent douteuse. Les méthodes d’Emm. Bach (1753) et de Marpurg (1755) laissent cette spécification dans l’ombre. Sur le frontispice gravé du Claverübung de Kuhnau (1689) on voit une épinette, et sur celui de son Zeitvertreib destiné au même instrument, on aperçoit un grand clavecin. De nos jours, le mot Klavier désigne uniformément le piano.