Dictionnaire pratique et historique de la musique/Canon
Canon, n. m. 1 étym. grecque, = règle. Composition en imitation rigoureuse, à deux ou plusieurs voix, dans laquelle chacune des parties répète, à une distance et après un espace de temps fixés, le même dessin mélodique. Les deux règles fondamentales du genre sont l’exactitude de l’imitation et sa continuité, le thème devant se reproduire sans modification ni interruption, et chaque voix ne devant se reposer qu’après l’entrée de la suivante. Jusqu’au xvie s., cette forme de composition fut appelée chasse ou fuga, et le mot canon servit à désigner la devise placée en tête du morceau pour en régler l’exécution. Le plus ancien C. connu est le célèbre chant anglais sur le texte « Sumer is icumen » (l’été est arrivé), du ms. Harleian 978, British Museum, noté au xiiie siècle et dont la musique, ou peut-être le texte seulement, passe pour l’œuvre d’un moine de l’abbaye de Reading, John of Fornsete. Cette pièce d’un grand intérêt historique porte le titre de Rota (roue) et forme un canon à 4, 3 ou 2 voix, accompagné par une sorte de bourdon, ou pes, à 2 voix. Les contrepointistes de la seconde moitié du xve s. portèrent la composition de la fuga, ou C., à un haut degré de raffinement. Ils se plurent à l’introduire dans les parties épisodiques de leurs messes et à lui donner des formes énigmatiques par des procédés subtils de notation et par le caractère piquant et parfois obscur à dessein des devises par lesquelles ils en indiquaient la résolution. C’est chez eux que prirent naissance les nombreuses variétés de C. cultivées jusqu’à notre époque et parmi lesquelles on distingue : le C. simple, où le thème proposé par la première voix et appelé antécédent ou guide est suivi de sa répétition exacte, dite conséquent ou résolution, par les voix successives ; le C. est dit à l’unisson, à la quinte, à l’octave, etc., selon que la seconde voix et, s’il y a lieu, les voix subséquentes prennent leur point de départ à l’unisson, à la quinte, à l’octave, etc., du thème proposé.
Canon par augmentation en mouvement contraire.)
Le C. ad infinitum,
ou circulaire, ou perpétuel, est celui qui
n’a pas de terminaison prévue, les
voix s’enchaînant et s’échafaudant par
des reprises continuelles du thème ;
l’addition d’une formule finale, ou
coda, procure seule la conclusion nécessaire.
— Le C. par augmentation ou
par diminution est celui dans lequel
le thème proposé est résolu
en valeurs de durées plus
longues ou plus brèves.
Le C. renversable, appelé
quelquefois par les anciens
théoriciens C. per arsin et
thesin, est celui dans lequel
tous les intervalles du
thème se trouvent renversés
dans la résolution ;
— le C. rétrograde, ou cancrizans,
ou à l’écrevisse, est
celui dans lequel la résolution
reproduit le thème à
rebours en commençant par
la dernière note ; le C. à la
fois renversable et rétrograde
peut s’écrire sur une
seule portée, munie d’une
clef à chaque bout et que
lisent deux exécutants placés
vis-à-vis l’un de l’autre ;
cette disposition reçoit
aussi le nom de C. ou fuga
à miroir. — Le C. polymorphe
est susceptible de
plusieurs résolutions ; c’est
le cas du fameux C. de
William Byrd, Non nobis
Domine (1575), souvent
chanté en Angleterre, en
guise de « grâces », après
les repas solennels et qui
peut s’interpréter à 2, 3
ou 4 voix, de sept ou huit
manières. — On nomme C.
énigmatiques ceux dont la
notation, réduite à une seule
portée, ne contient que le thème et indique par des signes et des
devises la manière de le résoudre ; le
C. est dit, en ce cas, fermé ; il est ouvert
lorsqu’on l’a résolu et mis en partition.
La notation sur portée unique fixe
par une série de clefs le nombre des
voix, l’ordre dans lequel elles doivent
se succéder et le degré sur lequel elles
doivent prendre leur point de départ ;
le lieu de leur entrée est marqué par
un signe communément tracé en
forme de §, ou, dans les ouvrages
anciens, par une volute analogue au
point d’interrogation, ou par un petit
trait vertical, simple ou double. La
devise complétait ces indications. Les
anciens contrepointistes se plaisaient
à la rédiger en termes sentencieux
et souvent humoristiques : « Vous
jeûnerez les quatre temps » signifiait
l’obligation pour le conséquent de
laisser passer quatre unités de temps
avant de suivre l’antécédent ; « Qui se
exaltat humiliabitur » (celui qui s’élève
sera abaissé) prescrivait le renversement
du thème ; « Crescit in duplo »
ordonnait à la seconde voix de procéder
par augmentation, en doublant
de valeur chaque note, etc. Ces jeux,
rangés parmi les « artifices des Néerlandais »,
parce qu’en effet les maîtres
franco-belges s’y sont complu, ne
doivent pas être jugés avec dédain ;
ils étaient l’équivalent de ces « récréations
mathématiques » où s’aiguise parfois
la curiosité des savants, et Fétis
a eu raison de dire qu’il n’est « pas
inutile de s’y exercer, car on y apprend
à se familiariser avec une foule de
combinaisons qui donnent plus d’activité
à la conception musicale ».
— Le C. double est formé par la réunion
de deux C. simples. Les C. comprenant
un grand nombre de voix étaient
connus dès le xve s. C’est par la superposition
de neuf C. à trois voix,
sous la devise « Novem sunt Musæ »,
que Jean de Ockeghem († 1495) a
construit le motet à 36 voix, célébré
par ses contemporains. La même disposition
se retrouve chez Valentini
(1631), qui a écrit aussi un C. à 96 voix
en 24 chœurs. Mais ces œuvres ne font
qu’étager les renversements de l’accord
parfait. On cite un C. triple à
8 voix en deux chœurs, de P. Agostini
(† 1629), un C. à 32 voix, de Berardi
(1687). Beaucoup de maîtres illustres
ont composé des C. pour les voix
ou les instruments. Bach en a placé
toute une suite dans son Air avec
30 variations, pour le clavecin. Haydn
avait fait encadrer et suspendre dans sa chambre
les feuillets sur
lesquels il avait tracé ses meilleurs C.
Cherubini, qui en composait volontiers,
a résolu tous ceux que le P. Martini
avait fait graver dans les vignettes
de son Histoire de la Musique. Beethoven,
dans ses heures de jovialité, a
écrit plusieurs C. pour ses amis.
Chanter des C. en chœur était un
plaisir jadis fort goûté dans les
réunions intimes, en Angleterre et en
Allemagne, et qui occasionna la publication
de « Canons de Société » en
recueils. || 2. Les théoriciens de la
Renaissance ont parfois donné le nom
de C. harmonique au monocorde servant
à mesurer les intervalles musicaux.
|| 3. Pièce d’artillerie, dont les
détonations ont été employées dans
quelques œuvres musicales, entre
autres dans un motet d’André Rauch
(1648), dans le Te Deum'' de Sarti (1755),
dans l’Hymne au peuple français, de
Rossini, composé pour l’Exposition
de 1867. D’autres musiciens se sont
contentés d’en imiter le bruit par des
coups de grosse caisse : Berlioz, dans
la Marche hongroise de La Damnation
de Faust (1848), Bizet, dans l’Ouverture
de Patrie (1872), etc. C’est sur
le son du canon qu’ont été basées les
premières expériences sur la propagation
des ondes sonores à longue distance,
effectuées par les membres de
l’Académie des Sciences, en 1738.
Les observations recueillies pendant
la guerre de 1914-1918 ont apporté
des faits nouveaux à la science de
l’acoustique.