Dictionnaire portatif de peinture, sculpture et gravure/CLAIR

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CLAIR, en termes de Peinture, ſe prend ſubſtantivement, & ſe dit des parties qui refléchiſſent plus de lumiere, qui ſont compoſées de couleurs plus hautes & plus frapantes. La ſcience d’un Peintre eſt de bien ménager les clairs d’un tableau, les teintes, les ombres ou bruns, & les enfoncemens. Clair ſe dit auſſi d’un ton naturel & non rembruni.

Clair (émail) eſt un tranſparent dont on ſe ſervoit uniquement avant qu’on eût trouvé le ſecret de peindre, comme on fait aujourd’hui, avec des émaux épais & opaques, & d’en compoſer toutes les couleurs dont on ſe ſert à préſent. Voyez Émail.

Clair-Obscur. C’eſt, ſuivant M. de Piles, la ſcience de placer les jours & les ombres ; ce ſont deux mots que l’on prononce comme un ſeul, & au lieu de dire le clair & l’obſcur, on dit le Clair-obſcur, à l’imitation des Italiens, qui diſent, Chiaro-ſcuro.

Pour dire qu’un Peintre donne à ſes figures un grand relief & une grande force, qu’il débrouille & qu’il fait connoître diſtinctement tous les objets de ſon tableau, pour avoir fait choix de la lumiere la plus avantageuſe, & pour avoir ſcû diſpoſer les corps, en ſorte que recevant de grandes lumieres, ils ſoient accompagnés de grandes ombres, on dit : ce Peintre entend fort bien le Clair-obſcur.

Le Clair-obſcur eſt donc l’art de diſtribuer les lumiéres & les ombres, non ſeulement ſur les objets particuliers, mais encore ſur le total du tableau. Cet artifice, qui n’a été connu parfaitement que d’un petit nombre de Peintres, eſt le plus puiſſant moyen de faire valoir les couleurs locales & toute la compoſition du tableau. On peut dire avec vérité qu’il eſt la baſe du bon coloris.

Ayant à travailler ſur une ſuperficie plate, le Peintre qui veut faire illuſion à nos yeux, ne ſçauroit faire paroître la rondeur & le relief, & preſque le mouvement des objets naturels, que par une dégradation ménagée des teintes, & par l’oppoſition des clairs & des bruns répandus artiſtement ſur la ſuperficie plate de ſa toile.

Les demi-teintes, les glacis, les reflets, les repouſſoirs, les reveillons, font des effets merveilleux de repos & de fuites. Souvent les clairs chaſſent les ombres, & les ombres chaſſent les clairs réciproquement. Les lumieres réunies par des paſſages tendres, n’en font qu’une, & l’accord de toutes les couleurs produit un Clair-obſcur ſi bien ménagée, qu’il a fait une illuſion entiere ſur les yeux des plus clair-voyants.

Pour parvenir à ce but, il faut une grande connoiſſance des effets de la lumiere ſur les objets, & de ſa diſtribution. Un corps opaque, ſitué ſur un plan, porte ou fait ombre dans ſa partie oppoſée à celle qui eſt éclairée, & cette ombre s’étend ſur le plan ou ſur les corps voiſins, ſuivant que l’objet intercepte plus ou moins de rayons, relativement à ſes dimenſions de hauteur & de largeur. Les régles d’optique apprennent celles de l’incidence de la lumiere, & non la ſcience de la perſpective, qui n’enſeigne guéres que les proportions des objets dans une poſition donnée, & leur dégradation. Voyez Potique & Perspective.

Le Peintre ſuppoſe le jour de ſon tableau comme bon lui ſembre ; mais il doit diſpoſer les objets, quoiqu’à ſon gré, toujours de maniere qu’il puiſſe en tirer tout l’avantage poſſible dans la diſpoſition des objets particuliers, des groupes & du tout enſemble. S’il y introduit des accidens, il faut que ce ſoit pour faire valoir