Dictionnaire portatif de peinture, sculpture et gravure/CHAMBRE OBSCURE

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CHAMBRE OBSCURE, machine de Catoptrique, au moyen de laquelle tout homme peut deſſiner une figure, un payſage & tout autre objet, ſans ſçavoir la Peinture ni le deſſein même. Elle repréſente en petit tous les objets extérieurs avec leurs couleurs naturelles. Cette machine ſe compoſe ainſi :

Faites une caiſſe de bois large d’un pied & demi, longue de deux pieds quelques pouces, & haute d’environ un pied dix pouces, ou même deux pieds. Conſtruiſez le derriere BC, No. 15. en talud ; le devant ne doit être formé que par un rideau de forte étoffe noire, capable d’empêcher la lumiere de pénétrer dans la caiſſe. Pour attacher commodement ce rideau, on ajoutera une planche coupée en demi-cercle, dont le rayon ſera d’un pied, & dont & le diametre ſera attaché par des charnieres à la planche qui forme le deſſus de la boëte, & on ajuſtera le rideau autour du demi-cercle, tel que la figure le repréſente.

On fera dans le deſſus de la caiſſe une ouverture, dans laquelle on inſinuera un tuyau de lunette de longue vûe DE, garni dans le haut D d’un verre convexe des deux côtés, & qui faſſe partie d’un grande ſphere, tels que les verres des lunettes des vieillards.

Fixez enſuite à chaque côté de cette ouverture deux montans, pour ſoutenir un petit miroir plan, que vous y ſuſpendrez par deux pivots, pour pouvoir lui donner le dégré d’inclinaiſon à volonté.

USAGE.

Placez la machine ainſi conſtruite ſur une table, de façon que celui qui voudra deſſiner, tourne le dos aux objets qu’il veut repréſenter. Mettez enſuite ſur le fond intérieur de la caiſſe (qui pourra être couvert d’un tapis de cuir ou de bonne étoffe) une feuille de papier blanc, directement ſous le tuyau DE, qu’on élevera ou qu’on baiſſera juſqu’à ce que les objets paroiſſent bien au naturel ſur le papier, qui eſt au-deſſous.

Pour faire paſſer la répréſentation des objets par le verre convexe du tuyau, on donnera au miroir l’inclinaiſon requiſe, au moyen d’une ficelle attachée dans le haut de ſon quadre, laquelle paſſant par une petite ouverture faite au haut de la boëte F, pourra être tirée plus ou moins par celui qui a la tête dans la boëte pour deſſiner les objets, & il arrêtera cette ficelle à quelque crochet fiché à un des côtés intérieurs de la caiſſe.

Tous les traits & les contours des objets ſe représentant ſur le papier, il lui ſera aiſé de les tracer au crayon ou à la plume ; ſi c’eſt du vêlin, avec une pointe d’argent ou de leton ; & même les peindre au pinceau, en y couchant les couleurs telles qu’elles s’y manifeſteront.

Si l’on veut copier une eſtampe, il faut la placer vis-à-vis le devant du miroir.

On peut par ce moyen tirer le portrait d’un homme, d’une femme, &c. mais ſeulement en petit ; on auroit de la peine à réuſſir en grand.

Les objets ſeront éclairés du Soleil autant que faire ſe pourra, ou du moins de la lumiere d’une lampe à groſſe méche.

L’ouverture du verre convexe ne doit pas toujours être la même. On peut ordinairement lui donner celle qu’on donneroit à une lunette d’approche, dont ce verre ſeroit l’objectif. Il faut diminuer cette ouverture quand les objets ſont fort éclairés, & l’augmenter quand les objets ſont expoſés à un jour plus foible. Les traits ſont plus diſtincts avec une petite ouverture, qu’avec une grande.

Pour réuſſir à donner au verre convexe l’ouverture qu’on deſire, on aura pluſieurs pieces de fer blanc ou de carton, rondes, du diametre du verre, & percées à différentes ouvertures, juſqu’à ce qu’on ait trouvé celle qui convient le mieux pour le jour & la lumiere actuelle.

Pour rendre cette machine plus portative, on lui donne la forme d’un gros livre, & l’on attache les côtés les uns aux autres par des charnieres & des crochets, afin de pouvoir les coucher les uns ſur les autres, & les plier de maniere que le côté F, oppoſé au côté E, ſe couche ſur le fond M, puis E ſur F. Pliant enſuite le demi-rond L ſur le deſſus D de la caiſſe, après en avoir ôté les montans, le miroir & le tuyau, on couchera l’un & l’autre ſur E. Et comme le deſſus D doit être attaché avec des charnieres au derriere BC de la boëte, ce derriere ſe couchera en même tems ſur L & D, & formera la couverture du livre, qu’on peut faire de façon à pouvoir y mettre le miroir, les montans qui le ſoutiennent, & le tuyau du verre convexe. En IH, ſeront deux crochets, de même qu’au côté oppoſé, pour tenir le livre fermé.

On ne ſçauroit réuſſir en grand avec le ſecours de la chambre obſcure ; mais elle eſt d’un grand avantage pour les habiles gens, quand il s’agit de raſſembler un grand eſpace dans une fort petite étendue, & pour donner aux objets des teintes vraies & telles que la nature nous les préſente : mais pour y parvenir, il faut être bien au fait. Un Commençant, un Artiſte médiocre pourra être un peu guidé, ſans jamais faire que du mauvais.

On peut inventer d’autres machines de cette eſpece ; mais celle-ci eſt, à mon avis, la plus commode. Je n’en connois point d’autres deſcriptions que celle-ci, que j’ai auſſi inſérée dans ma Traduction du petit cours de Mathématiques de Wolf, imprimée chez Jombert en 1747 : c’eſt ce qui m’a déterminé à la mettre ici, en faveur de ceux qui ne donnent pas dans les Mathématiques, ou qui les étudient ailleurs que dans Wolf.