Dictionnaire philosophique/La Raison par alphabet - 6e ed. - Cramer (1769)/Théologien

Cramer (Tome 2p. 173-174).

THÉOLOGIEN.



J’ai connu un vrai Théologien ; il possédait les langues de l’Orient, & était instruit des anciens rites des nations autant qu’on peut l’être. Les Bracmanes, les Caldéens, les Ignicoles, les Sabéens, les Syriens, les Égyptiens lui étaient aussi connus que les Juifs ; les diverses leçons de la Bible lui étaient familières ; il avait pendant trente années essayé de concilier les Évangiles, & tâché d’accorder ensemble les Pères. Il chercha dans quel tems précisément on rédigea le symbole attribué aux Apôtres, & celui qu’on met sous le nom d’Athanase ; comment on institua les sacremens les uns après les autres, quelle fut la différence entre la Synaxe & la Messe, comment l’Église Chrétienne fut divisée depuis sa naissance en différens partis, et comment la société dominante traita toutes les autres d’hérétiques. Il sonda les profondeurs de la politique qui se mêla toûjours de ces querelles, et il distingua entre la politique et la sagesse, entre l’orgueil qui veut subjuguer les esprits et le désir de s’éclairer soi-même, entre le zèle et le fanatisme.

La difficulté d’arranger dans sa tête tant de choses, dont la nature est d’être confondues, & de jeter un peu de lumière sur tant de nuages, le rebuta souvent ; mais comme ces recherches étaient le devoir de son état, il s’y consacra malgré ses dégouts. Il parvint enfin à des connaissances ignorées de la plûpart de ses confrères. Plus il fut véritablement savant, plus il se défia de tout ce qu’il savait. Tandis qu’il vécut, il fut indulgent, et à sa mort il avoua qu’il avait consumé inutilement sa vie.