Dictionnaire philosophique/La Raison par alphabet - 6e ed. - Cramer (1769)/Prophêtes

Cramer (Tome 2p. 114-117).

PROPHÊTES.



Le prophète Jurieu fut sifflé, les prophètes des Cévennes furent pendus ou roués ; les prophètes qui vinrent du Languedoc & du Dauphiné à Londres furent mis au pilori ; les prophètes anabaptistes furent condamnés à divers supplices ; le prophète Savonarola fut cuit à Florence ; le prophête Jean-Batiseur ou Batiste eut le cou coupé.

On prétend que Zacharie fut assassiné ; mais heureusement cela n’est pas prouvé. Le prophète Jeddo ou Addo qui fut envoyé à Béthel à condition qu’il ne mangerait ni ne boirait, ayant malheureusement mangé un morceau de pain, fut mangé à son tour par un lion, & on trouva ses os sur le grand chemin entre ce lion & son âne. Jonas fut avalé par un poisson ; il est vrai qu’il ne resta dans son ventre que trois jours & trois nuits ; mais c’est toûjours passer soixante & douze heures fort mal à son aise.

Habacuc fut transporté en l’air par les cheveux à Babilone. Ce n’est pas un grand malheur à la vérité ; mais c’est une voiture fort incommode. On doit beaucoup souffrir quand on est suspendu par les cheveux l’espace de trois cents milles. J’aurais mieux aimé une paire d’ailes, la jument Borack ou l’Hyppogriphe.

Michée, fils de Jemilla, ayant vû le Seigneur assis sur son trône avec l’armée du ciel à droite & à gauche, & le Seigneur ayant demandé quelqu’un pour aller tromper le roi Achab, le diable s’étant présenté au Seigneur, & s’étant chargé de la commission, Michée rendit compte de la part du Seigneur au roi Achab de cette avanture céleste. Il est vrai que pour récompense il ne reçut qu’un énorme soufflet de la main du prophète Sédékia ; il est vrai qu’il ne fut mis dans un cachot que pour quelques jours ; mais enfin il est désagréable pour un homme inspiré d’être souffleté & fourré dans un cul de basse-fosse.

On croit que le Roi Amasias fit arracher les dents au prophète Amos pour l’empêcher de parler. Ce n’est pas qu’on ne puisse absolument parler sans dents ; on a vu de vieilles édentées très bavardes ; mais il faut prononcer distinctement une prophétie, & un prophète édenté n’est pas écouté avec le respect qu’on lui doit.

Baruch essuya bien des persécutions. Ézéchiel fut lapidé par les compagnons de son esclavage. On ne sait si Jérémie fut lapidé, ou s’il fut scié en deux.

Pour Isaïe, il passe pour constant qu’il fut scié par ordre de Manassé Roitelet de Juda.

Il faut convenir que c’est un méchant métier que celui de prophête. Pour un seul qui comme Élie va se promener de planètes en planètes dans un beau carrosse de lumière, traîné par quatre chevaux blancs, il y en a cent qui vont à pied, & qui sont obligés d’aller demander leur dîner de porte en porte. Ils ressemblent assez à Homère qui fut obligé, dit-on, de mendier dans les sept villes qui se disputèrent depuis l’honneur de l’avoir vu naître. Ses commentateurs lui ont attribué une infinité d’allégories, auxquelles il n’avait jamais pensé. On a fait souvent le même honneur aux prophêtes. Je ne disconviens pas qu’ils n’ayent été très instruits de l’avenir. Il n’y a qu’à donner à son ame un certain degré d’exaltation, comme l’a très bien imaginé le brave philosophe ou fou de nos jours qui voulait percer un trou jusqu’aux aux Antipodes & enduire les malades de poix résine. Les Juifs exaltèrent si bien leur ame qu’ils virent très clairement toutes les choses futures ; mais il est difficile de deviner au juste si par Jérusalem les prophètes entendent toûjours la vie éternelle, si Babilone signifie Londres ou Paris ; si quand ils parlent d’un grand dîner on doit l’expliquer par un jeûne ; si du vin rouge signifie du sang, si un manteau rouge signifie la foi, & un manteau blanc la charité. L’intelligence des prophètes est l’effort de l’esprit humain, c’est pourquoi je n’en dirai pas davantage.