Dictionnaire philosophique/La Raison par alphabet - 6e ed. - Cramer (1769)/Foy

Cramer (Tome 1p. 293-295).
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FOY.



Qu’est-ce que la Foy ? Est-ce de croire ce qui paraît évident ? Non ; il m’est évident qu’il y a un Être nécessaire, éternel, suprême, intelligent. Ce n’est pas là de la foy, c’est de la raison. Je n’ai aucun mérite à penser que cet Être éternel, infini, qui est la vertu, la bonté même, veut que je sois bon & vertueux. La foy consiste à croire non ce qui semble vrai, mais ce qui semble faux à notre entendement. Les Asiatiques ne peuvent croire que par la foy le voyage de Mahomet dans les sept planètes, les incarnations du dieu Fo, de Vitsnou, de Xaca, de Brama, de Sammonocodom, &c. &c. &c. Ils soumettent leur entendement, ils tremblent d’examiner, ils ne veulent être ni empalés, ni brûlés ; ils disent, je crois.

Il y a la foy sur les choses étonnantes, & la foy sur les choses contradictoires & impossibles.

Vitsnou s’est incarné cinq cents fois, cela est fort étonnant ; mais enfin, cela n’est pas physiquement impossible. Car si Vitsnou a une ame, il peut avoir mis son ame dans cinq cents corps pour se réjoüir. L’Indien, à la vérité, n’a pas une foy bien vive, il n’est pas intimement persuadé de ces métamorphoses ; mais enfin, il dira à son bonze, J’ai la foy ; vous voulez que Vitsnou ait passé par cinq cents incarnations, cela vous vaut cinq cents roupies de rente ; à la bonne heure ; vous irez crier contre moi, vous me dénoncerez, vous ruinerez mon commerce si je n’ai pas la foy ; eh bien, j’ai la foy, & voilà de plus dix roupies que je vous donne. L’Indien peut jurer à ce bonze qu’il croit, sans faire un faux serment ; car après tout il ne lui est pas démontré que Vitsnou n’est pas venu cinq cents fois dans les Indes.

Mais si le bonze exige de lui qu’il croye une chose contradictoire, impossible, que deux & deux font cinq, que le même corps peut être en mille endroits différens, qu’être & n’être pas c’est précisément la même chose, alors, si l’Indien dit qu’il a la foy, il a menti ; & s’il jure qu’il croit, il fait un parjure. Il dit donc au bonze, Mon révérend père, je ne peux vous assurer que je crois ces absurdités-là, quand elles vous vaudraient dix mille roupies de rente au lieu de cinq cents.

Mon fils, répond le bonze, donnez vingt roupies, & Dieu vous fera la grace de croire tout ce que vous ne croyez point.

Comment voulez-vous, répond l’Indien, que Dieu opère sur moi ce qu’il ne peut opérer sur lui-même ? Il est impossible que Dieu fasse ou croye les contradictoires ; autrement il ne serait plus Dieu. Je veux bien vous dire, pour vous faire plaisir, que je crois ce qui est obscur ; mais je ne peux vous dire que je crois l’impossible. Dieu veut que nous soyons vertueux, & non pas que nous soyons absurdes. Je vous ai donné dix roupies, en voilà encor vingt, croyez à trente roupies, soyez homme de bien si vous pouvez, & ne me rompez plus la tête.