Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Terre

Éd. Garnier - Tome 20
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TERRE.

Terre, s. f.; proprement le limon qui produit les plantes ; qu’il soit pur ou mélangé, n’importe : on l’appelle terre vierge quand elle est dégagée, autant qu’il est possible, des parties hétérogènes ; si elle est aisée à rompre, peu mêlée de glaise et de sable, c’est de la terre franche ; si elle est tenace, visqueuse, c’est de la terre glaise.

Elle reçoit des dénominations différentes de tous les corps dont elle est plus ou moins remplie : terre pierreuse, sablonneuse, graveleuse, aqueuse, ferrugineuse, minérale, etc.

Elle prend ses noms de ses qualités diverses : terre grasse, maigre, fertile, stérile, humide, sèche, brûlante, froide, mouvante, ferme, légère, compacte, friable, meuble, argileuse, marécageuse. Terre neuve, c’est-à-dire qui n’a pas encore été posée à l’air, qui n’a pas encore produit ; terre usée, etc. ;

Des façons qu’elle reçoit : cultivée, remuée, fouillée, creusée, fumée, rapportée, ameublie, améliorée, criblée, etc.

Des usages où elle est mise : terre à pot ou à potier, terre glaise blanchâtre, compacte, molle, qui se cuit dans les fourneaux, et dont on fait les tuiles, les briques, les pots, la faïence. Terre à foulon, espèce de glaise onctueuse au toucher, qui sert à préparer les draps. Terre sigillée, terre rouge de Lemnos mise en pastilles gravées d’un cachet arabe ; on fait croire que c’est un antidote.

Terre d’ombre, espèce de craie brune qu’on titre du Levant. Terre vernissée ; c’est celle qui, en sortant de la roue du potier, reçoit une couche de plomb calciné ; vaisselle de terre vernissée.

Dans cette signification au propre du nom terre, aucun autre corps, quoique terrestre, ne peut être compris. Qu’on tienne dans sa main de l’or, ou du sel, ou un diamant, ou une fleur, on ne dira pas je tiens de la terre ; si on est sur un rocher, sur un arbre, on ne dira pas je suis sur un morceau de terre.

Ce n’est pas ici le lieu d’examiner si la terre est un élément ou non ; il faudrait savoir d’abord ce que c’est qu’un élément.

Le nom de terre s’est donné par extension à des parties du globe, à des étendues de pays : les terres du Turc, du Mogol ; terre étrangère, terre ennemie, les terres australes, les terres arctiques ; Terre-Neuve, île du Canada ; terres des Papous, près des Moluques ; terres de la Compagnie, c’est-à-dire de la compagnie des Indes orientales de Hollande, au nord du Japon ; terre d’Harnem, de Yesso : terre de Labrador, au nord de l’Amérique, près de la baie de Hudson, ainsi nommée parce que le labour y est ingrat ; terre de Labour, près de Gaëte, ainsi nommée par une raison contraire, c’est la Campania felice. Terre Sainte, partie de la Palestine où Jésus-Christ opéra ses miracles, et, par extension, toute la Palestine. La terre de promission, c’est cette Palestine même, petit pays sur les confins de l’Arabie Petrée et de la Syrie, que Dieu promit à Abraham né dans le beau pays de la Chaldée.

Terre, domaine particulier. Terre seigneuriale, terre titrée, terre en mouvance, terre démembrée, terre en fief, en arrière-fief. Le mot de terre, en ce sens, ne convient pas aux domaines en roture ; ils sont appelés domaine, métairie, fonds, héritage, campagne : on y cultive la terre, on y afferme une pièce de terre ; mais il n’est pas permis de dire d’un tel fonds, ma terre, mes terres, sous peine de ridicule, à moins qu’on entende le terrain, le sol : ma terre est sablonneuse, marécageuse, etc. Terre vague, que personne ne réclame. Terres abandonnées, qui peuvent être réclamées, mais qu’on a laissées sans culture, et que le seigneur alors a droit de faire cultiver à son profit.

Terres novales, qui ont été nouvellement défrichées.

Terre, par extension, le globe terrestre ou le globe terraqué. La terre, petite planète qui fait sa révolution annuelle autour du soleil en trois cent soixante-cinq jours six heures et quelques minutes, et qui tourne sur elle-même en vingt-quatre heures. C’est dans cette acception qu’on dit mesurer la terre, quand on a seulement mesuré un degré en longitude ou en latitude. Diamètre de la terre, circonférence de la terre, en degrés, en lieues, en milles, et en toises.

Les climats de la terre, la gravitation de la terre sur le soleil et les autres planètes, l’attraction de la terre, son parallélisme, son axe, ses pôles.

La terre ferme, partie du globe distinguée des eaux, soit continent, soit île. Terre ferme, en géographie, est opposé à île ; et cet abus est devenu usage.

On entend aussi par terre ferme la Castille-Noire, grand pays de l’Amérique méridionale ; et les Espagnols ont encore donné le nom de terre ferme particulière au gouvernement de Panama.

Magellan entreprit le premier le tour de la terre, c’est-à-dire du globe.

Une partie du globe se prend au figuré pour toute la terre : on dit que les anciens Romains avaient conquis la terre, quoiqu’ils n’en possédassent pas la vingtième partie.

C’est dans ce sens figuré, et par la plus grande hyperbole, qu’un homme connu dans deux ou trois pays est réputé célèbre dans toute la terre. Toute la terre parle de vous ne veut souvent dire autre chose, sinon, quelques bourgeois de cette ville parlent de vous.

Si bien connOr donc ce de La Serre,
Si bien connu de vous et de toute la terre.

(Regnard, le Joueur, acte III, scène iv.)

La terre et l’onde, expression trop commune en poésie, pour signifier l’empire de la terre et de la mer.

Cet empire absolu sur la terre et sur l’onde,
Ce pouvoir souverain que j’ai sur tout le monde.

(Corneille, Cinna, acte II, scène i)

Le ciel et la terre, expression vague par laquelle le peuple entend la terre et l’air ; et au figuré, négliger le ciel pour la terre ; les biens de la terre sont méprisables, il ne faut songer qu’à ceux du ciel.

Vent de terre, c’est-à-dire qui souffle de la terre, et non de la mer.

Toucher la terre. Un vaisseau qui touche la terre échoue, ou court risque de se briser.

Prendre terre, aborder. Perdre terre, s’éloigner, ou ne pouvoir toucher le fond dans l’eau ; et figurément, ne pouvoir plus suivre ses idées, s’égarer dans ses raisonnements.

Raser la terre, voguer près du rivage : les barques peuvent aisément raser la terre, les oiseaux rasent la terre quand ils s’en approchent en volant ; et au figuré, un auteur rase la terre quand il manque d’élévation. Aller terre à terre, ne guère s’éloigner des côtes ; et au figuré, ne se pas hasarder. Marcher terre à terre, ne point chercher à s’élever, être sans ambition. Cet auteur ne s’élève jamais de terre.

En terre : pieu enfoncé en terre ; porter en terre, c’est-à-dire à la sépulture.

Sous terre : il y a longtemps qu’il est sous terre, qu’il est enseveli ; chemin sous terre ; et au figuré, travailler sous terre, agir sous terre, c’est-à-dire former des intrigues sourdes, cabaler secrètement.

Ce mot terre a produit beaucoup de formules et de proverbes.

Que la terre te soit légère, ancienne formule pour les sépultures des Grecs et des Romains.

Point de terre sans seigneur, maxime de droit féodal. Qui terre a guerre a. C’est une terre de promission, proverbe pris de l’opinion que la Palestine était très fertile. Tant vaut l’homme, tant vaut sa terre. Cette parole n’est pas tombée par terre ou à terre.

Il va tant que la terre peut le porter. Quitter une terre pour le cens, c’est abandonner une chose plus onéreuse que profitable. Faire perdre terre à quelqu’un, l’embarrasser dans la dispute. Faire de la terre le fossé, c’est-à-dire se servir d’une chose pour en faire une autre. Il fait nuit, on ne voit ni ciel ni terre. Donne terre, méchant chemin. Baiser la terre ; donner du nez en terre. Il ne saurait s’élever de terre. Il voudrait être vingt pieds, cent pieds sous terre ; c’est-à-dire il voudrait se cacher de honte, ou il est dégoûté de la vie. Le faible qui s’attaque au puissant est pot de terre contre pot de fer. Cet homme vaudrait mieux en terre qu’en pré ; proverbe bas et odieux, pour souhaiter la mort à quelqu’un. Entre deux selles le cul à terre ; autre proverbe très-bas, pour signifier deux avantages perdus à la fois, deux occasions manquées. Un homme qui s’était brouillé avec deux rois écrivait plaisamment : Je me trouve entre deux rois le cul à terre[1].



  1. Cet homme était Voltaire lui-même. Il ajoutait : Deux rois sont de très-mauvaises selles. Voyez, dans la Correspondance, sa lettre à Mme de Lutzelbourg, du 14 septembre 1753.


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