Tenir, v. act. et quelquefois n. La signification naturelle et primordiale de tenir est d’avoir quelque chose entre ses mains : tenir un livre, une épée, les rênes des chevaux, le timon, le gouvernail d’un vaisseau ; tenir un enfant par les lisières ; tenir quelqu’un par le bras ; tenir fort ; tenir serré, ferme, faiblement ; tenir à brasse corps ; tenir à deux mains ; tenir à la gorge ; tenir le poignard sur la gorge, au propre. etc.
Par extension et au figuré il a plusieurs autres significations. Tenir, posséder. Le roi d’Angleterre tient une principauté en Allemagne. On tient une terre en fief, un bénéfice en commende, une maison à loyer, à bail judiciaire, etc. Les mahométans tiennent les plus beaux pays de l’Europe et de l’Asie. Les rois d’Angleterre ont tenu plusieurs provinces en France à foi et hommage de la couronne.
Tenir, dans le sens d’occuper. Un officier tient une place pour le roi. On tient le jeu de quelqu’un, pour quelqu’un ; il tient, il occupe le premier étage ; il le tient à bail, à loyer ; tenir une ferme.
Tenir, pour exprimer l’ordre des personnes et des choses. Les présidents dans leurs compagnies tiennent le premier rang. On tient son rang, sa place, son poste ; et dans le discours familier, on tient son coin. Il a tenu le milieu entre ces deux extrémités. Les livres d’histoire tiennent le premier rang dans sa bibliothèque.
Tenir, pour garder. Tenir son argent dans son cabinet, son vin à la cave, ses papiers sous la clef, sa femme dans un couvent.
Tenir, pour contenir au propre. Cette grange tient tant de gerbes, ce muid tant de pintes ; cette forêt tient dix lieues de long ; l’armée tenait quatre lieues de pays ; cet homme, ce meuble tient trop de place ; il ne peut tenir que vingt personnes à cette table.
Tenir, pour contenir au figuré. Il est si remuant, si vif, qu’on ne le peut tenir ; il ne peut tenir sa langue ; tenir en place ; rien ne le peut tenir, c’est-à-dire contenir, réprimer. Vous ne pouvez vous tenir de jouer, de médire. C’est dans ce sens figuré qu’on tient les peuples dans le devoir, les enfants dans le respect, les ennemis en échec, dans la crainte. On les contient au figuré.
Il n’en est pas de même de tenir la balance entre les puissances, parce qu’on ne contient pas la balance. On est supposé tenir la balance dans sa main ; c’est une métaphore. Tenir de court est aussi une métaphore, prise des rênes des chevaux et des laisses des chiens.
Tenir, être proche, être joint, contigu, attaché, adhérer. Le jardin tient à ma maison, la forêt au jardin. Ce tableau ne tient qu’à un clou ; ce miroir tient mal, il est mal attaché. De là on dit au figuré : la vie ne tient qu’à un fil, ne tient à rien. Sa condamnation a tenu à peu de chose. Je ne sais qui me tient que je n’éclate ! À quoi tient-il que vous ne sollicitiez cette affaire ? Qu’à cela ne tienne. Il n’y a ni considération ni crédit qui tienne, il sera condamné. S’il ne tient qu’à donner de l’argent, en voilà. Il n’a pas tenu à moi que vous ne fussiez heureux. Votre argent ne tient à rien. Cela tient comme de la glu, proverbialement et bassement.
Tenir pour avoir soin. Tenir sa maison propre, ses enfants bien vêtus, ses affaires en ordre, ses meubles en bon état, ses portes fermées, ses fenêtres ouvertes.
Tenir, pour exprimer les situations du corps. Il tient les yeux ouverts, les yeux baissés, les mains jointes, la tête droite, les pieds en dehors, etc. Il se tient droit, debout, courbé, assis. Il se tient mal, il se tient bien. Il se tient sous les armes. On dit que Siméon Stylite se tint plusieurs années sur une jambe. Les grues se tiennent souvent sur une patte.
Et au figuré : Il se tient à sa place, c’est-à-dire il est modeste, il ne se méconnaît pas, il ménage l’orgueil des autres. Il se tient en repos, il se tient à l’écart, il se tient clos et couvert, il ne se mêle pas des affaires d’autrui, il ne s’expose pas. Vous tiendrez-vous les bras croisés ? vous tiendrez-vous à ne rien faire ?
Tenir, pour exprimer les effets un peu durables de quelque chose. Le lait tient le teint frais ; les fruits fondants tiennent le ventre libre. La fourrure tient chaud ; la société tient gai. Le régime me tient sain, l’exercice me tient dispos, la solitude me tient laborieux, etc.
Tenir, être redevable. Je tiens tout de votre bonté ; je tiens du roi ma terre, mes priviléges, ma fortune. S’il a quelque chose de bon, il le tient de vos exemples. Il tient la vie de la clémence du prince.
Tu vois le jour, Cinna ; mais ceux dont tu le tiens
Furent les ennemis de mon père et les miens.
C’est à peu près en ce sens qu’on dit : Je tiens ce secret d’un charlatan. Je tiens cette nouvelle d’un homme instruit. Je tiens cette façon de travailler d’un grand maître. Je tiens de lui ma méthode, mes idées sur la métaphysique ; c’est-à-dire, je lui en suis redevable, je les ai puisées chez lui.
Tenir, ressembler, participer. Il tient de son père et de sa mère ; il a de qui tenir ; il tient de race. Il tient sa valeur de son père et sa modestie de sa mère. Ce style tient du burlesque, il participe du burlesque ; cette architecture, du gothique. Le mulet tient de l’âne et du cheval.
Tenir, pour signifier l’exercice des emplois et des professions. Un maître ès arts peut tenir école et pension. Il faut la permission du roi pour tenir manége. Tout négociant peut tenir banque. Il faut être maître pour tenir boutique. Ce n’est que par tolérance qu’on tient académie de jeu. Tout citoyen peut tenir des chambres garnies. Pour tenir auberge, cabaret, il faut permission.
Tenir, pour demeurer, être longtemps dans la même situation. Ce général a tenu longtemps la campagne ; ce malade tient la chambre, le lit. Ce débiteur tient prison. Ce vaisseau a tenu la mer six mois. Il m’a tenu, je me suis tenu longtemps au froid, à l’air, à la pluie.
Tenir, pour convoquer, assembler, présider. Le pape tient concile consistoire, chapelle. Le roi tient conseil, tient le sceau. On tient les états, la chambre des vacations, les grands jours, etc. La foire se tient ; le marché se tient.
Tenir, pour exprimer les maux du corps et de l’âme. La goutte, la fièvre le tient. Son accès le tient ; quand sa colère le tient, il n’est plus maître de lui ; sa mauvaise humeur le tient, il n’en faut pas approcher. On voit bien ce qui le tient, c’est la peur. Qu’est-ce qui le tient ? la mauvaise honte.
Remarquez que quand ces affections de l’âme la maîtrisent, alors elles gouvernent le verbe : car ce sont elles qui agissent. Mais quand on semble les faire durer, c’est la personne qui gouverne le verbe. Il tint sa colère longtemps contre son rival. Il lui tint rancune. Il tient sa gravité, son quant-à-moi, son fier. Je tiens ma colère ne peut signifier, je retiens ma colère, mais au contraire je la garde. On ne peut dire tenir son courage, tenir son humeur, parce que le courage est une qualité qui doit toujours dominer, et l’humeur une affection involontaire. Personne ne veut avoir d’humeur, mais on veut bien avoir de la colère contre les méchants, contre les hypocrites, tenir sa colère contre eux. C’est par la même raison qu’on tient une conduite, un parti, parce qu’on est censé les vouloir tenir. Vous tenez votre sérieux, et votre sérieux ne vous tient pas. On tient rigueur, la rigueur ne vous tient pas.
Tenir, pour résister. La citadelle a tenu plus longtemps que la ville. Les ennemis pourront à peine tenir cette année. Ce général a tenu dans Prague contre une armée de soixante et dix mille hommes. Tenir tête, tenir bon, tenir ferme. Il tient au vent, à la pluie, à toutes les fatigues.
Tenir, pour avoir et entretenir. Il tient son fils au collége, à l’académie. Le roi tient des ambassadeurs dans plusieurs cours ; il tient garnison dans les villes frontières. Ce ministre tient des émissaires, des espions, dans les cours étrangères.
Tenir, pour croire, réputer. On ne tient plus, dans les écoles, les dogmes d’Aristote. Les mahométans tiennent que Dieu est incommunicable ; la plupart tiennent que l’Alcoran n’est pas de toute éternité. Les Indiens et les Chinois tiennent la métempsycose. Je me tiens heureux, je me tiens perdu ; c’est-à-dire je me crois heureux, je me crois perdu. On tient les opinions de Leibnitz pour chimériques ; mais on tient ce philosophe pour un grand génie. Il a tenu ma visite à honneur, et mes réflexions à injure. Il se l’est tenu pour dit. Remarquez que lorsque tenir signifie réputer, avoir opinion, il s’emploie également avec l’accusatif et avec la préposition pour.
Qu’il la tient pour sensée et de bon jugement.
Ma foi, je le tiens fou de toutes les manières.
Tenir, pour exécuter, accomplir, garder. Un honnête homme tient sa promesse ; un roi sage tient ses traités. On est obligé de tenir ses marchés ; quand on a donné sa parole, il la faut tenir.
Tenir, au lieu de suivre. Ils tiennent le chemin de Lyon. Quelle route tiendrez-vous ? Tenez les bords ; tenez toujours le large, le bas, le haut, le milieu.
Tenir, être contigu. Cette maison tient à la mienne, la galerie tient à son appartement.
Tenir, pour signifier les liaisons de parenté, d’affection. Sa famille tient aux meilleures maisons du royaume. Il ne tient plus au monde que par habitude ; vous ne tenez à cet homme que par sa place ; il tient à cette femme par une inclination invincible.
Tenir, se fixer à quelque chose. Je m’en tiens aux découvertes de Newton sur la lumière. Il s’en tient à l’Évangile, et rejette la tradition. Après avoir gagné cent mille francs il devait s’en tenir là. Il faut s’en tenir à la décision des arbitres, et ne point plaider. Remarquez que dans toutes ces acceptions la particule en est nécessaire ; elle emporte l’exclusion du contraire. Je m’en tiens à l’opinion de Locke signifie : de toutes les opinions, je m’en tiens à celle-là. Mais, je me tiens aux opinions de Locke signifie seulement : je les adopte, sans exprimer absolument si j’en ai examiné et rejeté d’autres.
Outre ces significations générales du mot tenir, il en a beaucoup de particulières. Tenir une terre par ses mains, c’est la faire valoir ; tenir le sceptre, c’est régner ; tenir la mer, c’est être embarqué longtemps. Une armée tient la campagne ; un embarras tient toute une rue ; l’eau glacée et l’eau bouillante tiennent plus de place que l’eau ordinaire. Ce sable ne tient point, cette colle tiendra longtemps. Il s’est tenu au gros de l’arbre. Le gibier a tenu, c’est-à-dire ne s’est pas écarté de la place où on l’a cherché. Les gardes se sont tenus à la porte ; le marché, la foire tient ou se tient aujourd’hui ; l’audience tient les matins ; on tient la main à l’exécution des règlements ; le greffier tient la plume, le commis la caisse. Tout père de famille doit tenir un registre, un livre de compte. On tient un enfant sur les fonts de baptême. Tenir un homme sur les fonts, c’est parler de lui et discuter son caractère, répondre pour lui qu’il a telle inclination, comme au baptême on répond pour le filleul. Une chose tient lieu d’une autre ; ce présent tient lieu d’argent ; son accueil tient lieu de récompense. On est tenu de rendre foi et hommage à son seigneur, d’assister aux états de sa province, de marcher avec son régiment, de payer les dîmes, etc.
On tient table, on tient chapelle, on tient sa partie dans la musique, on tient sur une note, on tient au jeu ; l’un fait va-tout, l’autre le tient ; on tient les cartes, on tient le dé, on tient le haut bout, le haut du pavé, le milieu. On tient compte de l’argent, des faveurs qu’on a reçues. On va même jusqu’à dire que Dieu nous tiendra compte d’une bonne action. On se tient sûr, on tient pour quelqu’un. Les cordeliers tiennent pour Scot, et les dominicains pour saint Thomas. On tient une chose pour non avenue quand elle n’a eu aucune suite ; on tient une faveur pour reçue quand on est sûr de la bonne volonté ; un bon vaisseau tient à tout vent. On tient des propos, des discours, un langage.
Quel propos vous tenez !
Cessez de tenir ce langage[1].
Les proverbes qui naissent de ce mot sont en très-grand nombre. Il en tient, c’est-à-dire on l’a trompé, ou il a succombé dans une affaire, ou il a été condamné, ou il a été vaincu, etc. Il a vu cette femme, il en tient. Il a un peu trop bu, il en tient. Il tient le loup par les oreilles, c’est-à-dire il se trouve dans une situation épineuse. Cet accord tient à chaux et à ciment, c’est-à-dire qu’il ne sera pas aisément changé. Cette femme tient ses amants le bec dans l’eau, pour dire elle les amuse, leur donne de fausses espérances. Tenir l’épée dans les reins, le poignard sur la gorge ou à la gorge, signifie presser vivement quelqu’un de conclure. Tenir pied à boule, être assidu, ne point abandonner une affaire. Tenir quelqu’un dans sa manche, être sûr de son consentement, de son opinion. Tenir le dé dans la conversation, parler trop, vouloir primer. C’est un furieux, il faut le tenir à quatre. Se faire tenir à quatre, faire le difficile. Il tient bien sa partie, c’est-à-dire il s’acquitte bien de son devoir. Tenir quelqu’un sur le tapis, parler beaucoup de lui. Cet homme croyait réussir, il ne tient rien. Il n’a qu’à se bien tenir. Il a beau vouloir m’échapper, je le tiens. Il faut le tenir par les cordons ou les lisières, c’est-à-dire le mener comme un enfant, un homme qui ne sait pas se conduire. Rancune tenant. Tenir le bon bout par devers soi, c’est avoir ses sûretés dans une affaire, c’est être en possession de ce qui est contesté. Croire tenir Dieu par les pieds, expression populaire pour marquer sa joie d’un bonheur inespéré.
Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, ancien proverbe. Serrez la main, et dites que vous ne tenez rien ; mauvais proverbe populaire. Cet homme se tient mieux à table qu’à cheval ; il se tient droit comme un cierge. Le plus empêché est celui qui tient la queue de la poêle, tous proverbes du peuple.