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Le pape Pie II, dans une épître à Jean Peregal[2], avoue que la cour romaine ne donne rien sans argent ; l’imposition même des mains et les dons du Saint-Esprit s’y vendent, et la rémission des péchés ne s’y accorde qu’aux riches.
Avant lui, saint Antonin, archevêque de Florence[3], avait observé que du temps de Boniface IX, qui mourut l’an 1404, la cour romaine était si infâme par la tache de simonie que les bénéfices s’y conféraient moins au mérite qu’à ceux qui apportaient beaucoup d’argent. Il ajoute que ce pape remplit l’univers d’indulgences plénières, de sorte que les petites églises, dans leurs jours de fêtes, les obtenaient à un prix modique.
Théodoric de Niem[4], secrétaire de ce pontife, nous apprend en effet que Boniface envoya des quêteurs en divers royaumes pour vendre l’indulgence à ceux qui leur offraient autant d’argent qu’ils en auraient dépensé en chemin s’ils eussent fait pour cela le voyage de Rome ; de sorte qu’ils remettaient tous les péchés, même sans pénitence, à ceux qui se confessaient, et les dispensaient, moyennant de l’argent, de toutes sortes d’irrégularités, disant qu’ils avaient sur cela toute la puissance que le Christ avait accordée à Pierre de lier et de délier sur la terre[5].
Et ce qui est plus singulier encore, le prix de chaque crime est taxé dans un ouvrage latin imprimé à Rome par ordre de Léon X, le 18 novembre 1514, chez Marcel Silber, dans le champ de Flore, sous le titre de Taxes de la sacrée chancellerie et de la sacrée pénitencerie apostolique.
Entre plusieurs autres éditions de ce livre, faites en différents pays, celle in-4o de Paris, de l’an 1520, chez Toussaint Denis, rue Saint-Jacques, à la Croix de bois, près Saint-Yves, avec privilége du roi pour trois ans, porte au frontispice les armes de France et celles de la maison de Médicis, de laquelle était Léon X. Voilà ce qui aura trompé l’auteur du Tableau des papes[6], qui attribue à Léon X l’établissement de ces taxes, quoique Polydore Virgile[7] et le cardinal d’Ossat[8] s’accordent à placer l’invention de la taxe de la chancellerie sous Jean XXII, vers l’an 1320, et le commencement de celle de la pénitencerie, seize ans plus tard, sous Benoît XII.
Pour nous faire une idée de ces taxes, copions ici quelques articles du chapitre des absolutions.
L’absolution[9] pour celui qui a connu charnellement sa mère, sa sœur, etc., coûte cinq gros.
L’absolution pour celui qui a défloré une vierge, six gros.
L’absolution pour celui qui a révélé la confession d’un autre, sept gros.
L’absolution[10] pour celui qui a tué son père, sa mère, etc., cinq gros, et ainsi des autres péchés, comme nous verrons bientôt ; mais à la fin du livre les prix sont évalués par ducats.
Il est aussi parlé d’une sorte de lettres appelées confessionnales, par lesquelles le pape permet de choisir, à l’article de la mort, un confesseur qui donne plein pardon de tout péché : aussi ces lettres ne s’accordent qu’aux princes, et même avec grande difficulté. Ce détail se trouve page 32 de l’édition de Paris.
La cour de Rome, dans la suite, eut honte de ce livre, qu’elle supprima tant qu’il lui fut possible ; elle l’a même fait insérer dans l’indice expurgatoire du concile de Trente, sur la fausse supposition que les hérétiques l’ont corrompu.
Il est vrai qu’Antoine Dupinet, gentilhomme franc-comtois, en fit imprimer à Lyon, en 1564, un extrait in-8o dont voici le titre : Taxes des parties casuelles de la boutique du pape, en latin et en français, avec annotations primes des décrets, conciles, et canons tant vieux que modernes, pour la vérification de la discipline anciennement observée en l’Église ; par A. D. P. Mais quoiqu’il n’avertisse point que son ouvrage n’est qu’un abrégé de l’autre, bien loin de corrompre son original, il en retranche au contraire quelques traits odieux, tels que celui qui se lit page 23, ligne 9 d’en bas, dans l’édition de Paris ; le voici : « Et remarquez soigneusement que sortes de grâces et de disponses ne s’accordent point aux pauvres, parce que n’ayant pas de quoi, ils ne peuvent être consolés. »
Il est vrai encore que Dupinet évalue ces taxes par tournois, ducats, et carlins; mais comme il observe, page 42, que les carlins et les gros sont de la même valeur, en substituant à la taxe de cinq, six, sept gros, etc., qui est dans son original, celle d’un nombre égal de carlins, ce n’est point le falsifier. En voici la preuve dans les quatre articles déjà cités de l’original.
L’absolution, dit Dupinet, pour celui qui connaît charnellement sa mère, sa sœur, ou quelque autre parente ou alliée, ou sa commère de baptême, est taxée à cinq carlins.
L’absolution pour celui qui dépucelle une jeune fille est taxée à six carlins.
L’absolution pour celui qui rélève la confession de quelque pénitent est taxée à sept carlins.
L’absolution pour celui qui a tué son père, sa mère, son frère, sa sœur, sa femme, ou quelque autre parent ou allié, laïque néanmoins, est taxée à cinq carlins : car si le mort était ecclésiastique, l’homicide serait obligé de visiter les saints lieux.
Rapportons-en quelques autres.
L’absolution, continue Dupinet, pour quelque acte de paillardise que ce soit, commis par un clerc, fût-ce avec une religieuse dans le cloître ou dehors, ou avec ses parentes et alliées, ou avec sa fille spirituelle (sa filleule), ou avec quelques autres femmes que ce soit, coûte trente-six tournois, trois ducats.
L’absolution pour un prêtre qui tient une concubine, vingt-un tournois, cinq ducats, six carlins.
L’absolution d’un laïque pour toutes sortes de péchés de la chair se donne au for de la conscience pour six tournois, deux ducats.
L’absolution d’un laïque pour crime d’adultère, donnée au for de la conscience, coûte quatre tournois ; et s’il y a adultère et inceste, il faut payer par tête six tournois. Si outre ces crimes on demande l’absolution du péché contre nature ou de la bestialité, il faut quatre-vingt-dix tournois, douze ducats et six carlins ; mais si on demande seulement l’absolution du crime contre nature ou de la bestialité, il n’en coûtera que trente-six tournois et neuf ducats.
La femme qui aura pris un breuvage pour se faire avorter, ou le père qui le lui aura fait prendre, payera quatre tournois, un ducat, et huit carlins ; et si c’est un étranger qui ait donné le breuvage pour la faire avorter, il payera quatre tournois, un ducat, et cinq carlins.
Un père ou une mère, ou quelque autre parent qui aura étouffé un enfant, payera quatre tournois, un ducat, huit carlins ; et si le mari et la femme l’ont tué ensemble, ils payeront six tournois et deux ducats.
La taxe qu’accorde le dataire pour contracter mariage hors les temps permis est de vingt carlins ; et dans les temps permis, si les contractants sont au second ou troisième degré, elle est ordinairement de vingt-cinq ducats, et quatre pour l’expédition des bulles ; et au quatrième degré, de sept tournois, un ducat et six carlins.
La dispense du jeûne pour un laïque aux jours marqués par l’Église, et la permission de manger du fromage, sont taxées à vingt carlins. La permission de manger de la viande et des œufs aux jours défendus est taxée à douze carlins ; et celle de manger des laitages, à six tournois pour une personne seule ; et à douze tournois, trois ducats et six carlins, pour toute une famille et pour plusieurs parents.
L’absolution d’un apostat et d’un vagabond qui veut revenir dans le giron de l’Église coûte douze tournois, trois ducats et six carlins.
L’absolution et la réhabilitation de celui qui est coupable de sacrilége, de vol, d’incendie, de rapine, de parjure, et semblables, est taxée à trente-six tournois et neuf ducats.
L’absolution pour un valet qui retient le bien de son maître trépassé pour le payement de ses gages, et qui, étant averti, n’en fait pas la restitution, pourvu que le bien qu’il retient n’excède pas la valeur de ses gages, est taxée seulement, dans le for de la conscience, à six tournois, deux ducats.
Pour changer les clauses d’un testament, la taxe ordinaire est de douze tournois, trois ducats, six carlins.
La permission de changer son nom propre coûte neuf tournois, deux ducats et neuf carlins ; et pour changer le surnom et la manière de le signer, il faut payer six tournois et deux ducats.
La permission d’avoir un autel portatif pour une seule personne est taxée à dix carlins, et celle d’avoir une chapelle domestique, à cause de l’éloignement de l’église paroissiale, et pour y établir des fonts baptismaux et des chapelains, trente carlins.
Enfin la permission de transporter des marchandises une ou plusieurs fois aux pays des infidèles, et généralement trafiquer et vendre sa marchandise sans être obligé d’obtenir la permission des seigneurs temporels, de quelques lieux que ce soit, fussent-ils rois ou empereurs, avec toutes les clauses dérogatoires très-amples, n’est taxée qu’à vingt quatre tournois, six ducats.
Cette permission, qui supplée à celle des seigneurs temporels, est une nouvelle preuve des prétentions papales dont nous avons parlé à l’article Bulle. On sait d’ailleurs que tous les rescrits ou expéditions pour les benéfices se payent encore à Rome suivant la taxe ; et cette charge retombe toujours sur les laïques, par les impositions que le clergé subalterne en exige. Ne parlons ici que des droits pour les mariages et pour les sépultures.
Un arrêt du parlement de Paris, du 19 mai 1409, rendu à la poursuite des habitants et échevins d’Abbeville, porte que chacun pourra coucher avec sa femme sitôt après la célébration du mariage, sans attendre le congé de l’évêque d’Amiens, et sans payer le droit qu’exigeait ce prélat pour lever la défense qu’il avait faite de consommer le mariage les trois premières nuits des noces. Les moines de Saint-Étienne de Nevers furent privés du même droit par un autre arrêt du 27 septembre 1591. Quelques théologiens ont prétendu que cela était fondé sur le quatrième concile de Carthage, qui l’avait ordonné pour la révérence de la bénédiction matrimoniale. Mais comme ce concile n’avait point ordonné d’éluder sa défense en payant, il est plus vraisemblable que cette taxe était une suite de la coutume infâme qui donnait à certains seigneurs la première nuit des nouvelles mariées de leurs vassaux. Buchanan croit que cet usage avait commencé en Écosse, sous le roi Even.
Quoi qu’il en soit, les seigneurs de Prellei et de Parsanni, en Piémont, appelaient ce droit carragio ; mais ayant refusé de le commuer en une prestation honnête, leurs vassaux révoltés se donnèrent à Amédée VI, quatorzième comte de Savoie.
On a conservé un procès-verbal fait par M. Jean Fraguier, auditeur en la chambre des comptes de Paris, en vertu d’arrêt d’icelle du 7 avril 1507, pour l’évaluation du comté d’Eu, tombé en la garde du roi par la minorité des enfants du comte de Nevers et de Charlotte de Bourbon sa femme. Au chapitre du revenu de la baronnie de Saint-Martin-le-Gaillard, dépendant du comté d’Eu, il est dit : Item, a ledit seigneur, audit lieu de Saint-Martin, droit de culage quand on se marie.
Les seigneurs de Sonloire avaient autrefois un droit semblable, et l’ayant omis en l’aveu par eux rendu au seigneur de Montlevrier leur suzerain, l’aveu fut blâmé ; mais, par acte du 15 décembre 1607, le sieur de Montlevrier y renonça formellement ; et ces droits honteux ont été partout convertis en des prestations modiques appelées marchetta.
Or, quand nos prélats eurent des fiefs, suivant la remarque du judicieux Fleury, ils crurent avoir comme évêques ce qu’ils n’avaient que comme seigneurs ; et les curés, comme leurs arrière-vassaux, imaginèrent la bénédiction du lit nuptial, qui leur valait un petit droit sous le nom de plat de noces, c’est-à-dire leur dîner en argent ou en espèce. Voici le quatrain qu’un curé de province mit, en cette occasion, sous le chevet d’un président fort âgé, qui épousait une jeune demoiselle du nom de La Montagne ; il faisait allusion aux cornes de Moïse, dont il est parlé dans l’Exode[11] :
Le président à barbe grise
Sur la montagne va monter ;
Mais certes il peut bien compter
D’en descendre comme Moïse.
Disons aussi deux mots sur les droits qu’exige le clergé pour les sépultures des laïques. Autrefois, au décès de chaque particulier, les évêques se faisaient représenter les testaments, et défendaient de donner la sépulture à ceux qui étaient morts déconfès[12], c’est-à-dire qui n’avaient pas fait un legs à l’Église, à moins que les parents n’allassent à l’official, qui commettait un prêtre ou quelque autre personne ecclésiastique pour réparer la faute du défunt, et faire ce legs en son nom. Les curés aussi s’opposaient à la profession de ceux qui voulaient se faire moines, jusqu’à ce qu’ils eussent payé les droits de leur sépulture : disant que, puisqu’ils mouraient au monde, il était juste qu’ils s’acquittassent de ce qu’ils auraient dû si on les avait enterrés.
Mais les débats fréquents occasionnés par ces vexations obligèrent les magistrats de fixer la taxe de ces droits singuliers. Voici l’extrait d’un règlement à ce sujet, porté par François de Harlai de Chanvallon, archevêque de Paris, le 30 mai 1693, et homologué en la cour du parlement le 10 juin suivant.
Pour la réception des corps transportés :
- ↑ Voyez tome XI, pages 269 et 531 ; tome XII, page 280 ; tome XVIII, page 445 ; tome XIX, page 51 ; et dans les Mélanges, année 1763, les Éclaircissements historiques (xxie sottise de Nonotte).
- ↑ Épitre 66. (Note de Voltaire.)
- ↑ Chronique, troisième partie, titre 22. (Id.)
- ↑ Livre Ier, du Schisme, chapitre lxviii. (Id.)
- ↑ Matthieu, chapitre xvi, v. 19. (Id.)
- ↑ Page 154. (Note de Voltaire.)
- ↑ Livre VIII, chapitre ii, des Inventeurs des choses. (Id.)
- ↑ Lettre ccciii. (Id.)
- ↑ Page 36. (Id.)
- ↑ Page 38. (Id.)
- ↑ Chapitre xxxiv, v. 29. (Note de Voltaire.)
- ↑ Déconfès veut dire : sans confession.
- ↑ Cette taxe est fort augmentée, mais nous doutons que ces augmentations aient été homologuées. On a imaginé de faire jouer dans les enterrements le rôle de confesseur du mort à un prêtre qui est dans un costume particulier, et auquel on donne un écu. Quand le malade est mort sans confession, quelquefois on accorde le confesseur pour éviter le scandale et gagner un écu ; d’autres fois, l’Église aime mieux le scandale que l’écu. C’est un moyen de décrier une famille honnête auprès de la canaille de la paroisse, qui est dans la main des prêtres parce que les laïques ont encore la bêtise de les charger de la distribution de leurs aumônes.
Il y a longtemps qu’on se plaint de cette avidité du clergé. Baptiste Mantouan, général des carmes, au xve siècle, dit dans ses poésies :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Venalia nobis
Templa, sacerdotos, altaria, sacra, coronæ,
Ignis, thura, preces ; cœlum est venale, Deusque.Un poëte du siècle dernier a traduit ces vers de la manière suivante :
Chez nous tout est vénal : prêtres, temples, autels,
L’oremus à voix basse, et les chants solennels,
La terre des tombeaux, l’hymen et le baptême,
Et la parole sainte, et le ciel, et Dieu même (K.)