Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Tant

Éd. Garnier - Tome 20
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TANT.

Adverbe de quantité, qui devient quelquefois conjonction.

Il est adverbe quand il est attaché au verbe, quand il en modifie le sens. Il aima tant la patrie ! Vous connaissez les coquettes ? oh tant ! Il a tant de finesse dans l’esprit qu’il se trompe presque toujours.

Tant est une conjonction quand il signifie tandis que. Elle sera aimée tant qu’elle sera jolie, c’est-à-dire tandis qu’elle sera jolie.

Tant, lorsqu’il est suivi de quelque mot dont il désigne la quantité, gouverne toujours le génitif : tant d’amitié, tant de richesses, tant de crimes.

Il ne se joint jamais à un simple adjectif. On ne dit point tant vertueux, tant méchant, tant libéral, tant avare ; mais si vertueux, si méchant, si libéral, si avare.

Après le verbe actif ou neutre, sans auxiliaire, il faut toujours mettre tant : il travaille tant, il pleut tant. Quand le verbe auxiliaire se joint au verbe actif, vous placez le tant entre l’un et l’autre ; il a tant travaillé, il a tant plu, ils ont tant écrit ; et jamais on ne se sert du si : il a si plu, ils ont si écrit ; ce serait un barbarisme. Mais avec un verbe passif, le tant est remplacé par le si, et voici dans quel cas : lorsque vous avez à exprimer un sentiment particulier par un verbe passif, comme je suis si touché, si ému, si courroucé, si animé, vous ne pouvez dire je suis tant ému, tant touché, tant courroucé, tant animé, parce que ces mots tiennent lieu d’épithète ; mais lorsqu’il s’agit d’une action, d’un fait, vous employez le mot de tant : cette affaire fut tant débattue, les accusations furent tant renouvelées, les juges tant sollicités, les témoins tant confrontés, et non pas si confrontés, si sollicités, si renouvelées, si débattue ; la raison en est que ces participes expriment des faits, et ne peuvent être regardés comme des épithètes.

On ne dit point cette femme tant belle, parce que belle est épithète ; mais on peut dire, surtout en vers, cette femme autrefois tant aimée, encore mieux que si aimée ; mais quand on ajoute de qui elle a été aimée, il faut dire si aimée de vous, de lui, et non tant aimée de vous, de lui, parce qu’alors vous désignez un sentiment particulier. Cette personne autrefois tant célébrée par vous ; célébrer est un fait. Cette personne autrefois si estimée par vous ; c’est un sentiment.

Est-ce là cette ardeur tant promise à sa cendre[1] ?

Quel crime a donc commis ce fils tant condamné[2] ?

Condamné, promise, expriment des faits.

Tant peut être considéré comme une particule d’exclamation : tant il est difficile de bien écrire ! tant les oreilles sont délicates !

Tant se met pour autant : tant plein que vide, pour dire autant plein que vide ; tant vaut l’homme, tant vaut sa terre, pour autant vaut l’homme, autant vaut sa terre. Tant tenu, tant payé, c’est-à-dire il sera payé autant qu’il aura servi.

On ne dit plus tant plus, tant moins, parce que tant est alors inutile. Plus on la pare, moins elle est belle. À quoi servirait tant plus on la pare, tant moins elle est belle ?

Il n’en est pas de même de tant pis et de tant mieux : pis et mieux ne feraient pas seuls un sens assez complet. Il se croit sûr de la victoire, tant pis ; il se défie de sa bonne fortune, tant mieux. Tant alors signifie d’autant : il fait d’autant mieux.

Tant que ma vue peut s’étendre, pour autant que ma vue peut s’étendre.

Tant et si peu qu’il vous plaira, au lieu de dire autant et si peu qu’il vous plaira.



  1. Andromaque, IV, i.
  2. Britannicus, IV, ii.