Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Roi

Éd. Garnier - Tome 20



ROI[1].

« Roi, basileus, tyrannos, rex, dux, imperator, melch, baal, bel, pharao, éli, shadai, adoni, shak, sophi, padisha, bogdan, chazan, kan, krall, king, kong, kœnig, » etc., etc., toutes expressions qui semblent signifier la même chose, et qui expriment des idées toutes différentes.

Dans la Grèce, ni basileus, ni tyrannos ne donna jamais l’idée du pouvoir absolu. Saisit ce pouvoir qui put ; mais ce n’est que malgré soi qu’on le laissa prendre.

Il est clair que chez les Romains les rois ne furent point despotiques. Le dernier Tarquin mérita d’être chassé, et le fut. Nous n’avons aucune preuve que les petits chefs de l’Italie aient jamais pu faire à leur gré présent d’un lacet au premier homme de l’État, comme fait aujourd’hui un Turc imbécile dans son sérail, et comme de vils esclaves barbares beaucoup plus imbéciles le souffrent sans murmurer.

Nous ne voyons pas un roi au delà des Alpes et vers le Nord, dans les temps où nous commençons à connaître cette vaste partie du monde. Les Cimbres qui marchèrent vers l’Italie, et qui furent exterminés par Marius, étaient des loups affamés qui sortaient de leurs forêts avec leurs louves et leurs louveteaux. Mais de tête couronnée chez ces animaux ; d’ordres intimés de la part d’un secrétaire d’État, d’un grand boutillier, d’un logothète ; d’impôts, de laves arbitraires, de commis aux portes, d’édits bureaux, on n’en avait pas plus de notion que de vêpres et de l’opéra.

Il faut que l’or et l’argent monnayé, et même non monnayé, soit une recette infaillible pour mettre celui qui n’en a pas dans la dépendance absolue de celui qui a trouvé le secret d’en amasser. C’est avec cela seul qu’il eut des postillons et des grands officiers de la couronne, des gardes, des cuisiniers, des filles, des femmes, des geôliers, des aumôniers, des pages, et des soldats.

Il eût été fort difficile de se faire obéir ponctuellement si on n’avait eu à donner que des moutons et des pourpoints. Aussi il est très-vraisemblable qu’après toutes les révolutions qu’éprouva notre globe, ce fut l’art de fondre les métaux qui fit les rois, comme ce sont aujourd’hui les canons qui les maintiennent.

César avait bien raison de dire qu’avec de l’or on a des hommes, et qu’avec des hommes on a de l’or. Voilà tout le secret.

Ce secret avait été connu dès longtemps en Asie et en Égypte. Les princes et les prêtres partagèrent autant qu’ils le purent.

Le prince disait au prêtre : Tiens, voilà de l’or ; mais il faut que tu affermisses mon pouvoir, et que tu prophétises en ma faveur ; je serai oint, tu seras oint. Rends des oracles, fais des miracles, tu seras bien payé, pourvu que je sois toujours le maître. Le prêtre se faisait donner terres et monnaie, et il prophétisait pour lui-même, rendait des oracles pour lui-même, chassait le souverain très-souvent, et se mettait à sa place. Ainsi les choen ou chotim d’Égypte, les mages de Perse, les Chaldéens devers Babylone, les chazin de Syrie (si je me trompe de nom il n’importe guère), tous ces gens-là voulaient dominer. Il y eut des guerres fréquentes entre le trône et l’autel en tout pays, jusque chez la misérable nation juive.

Nous le savons bien depuis douze cents ans, nous autres habitants de la zone tempérée d’Europe. Nos esprits ne tiennent pas trop de cette température ; nous savons ce qu’il nous en a coûté. Et l’or et l’argent sont tellement le mobile de tout, que plusieurs de nos rois d’Europe envoient encore aujourd’hui de l’or et de l’argent à Rome, où des prêtres le partagent dès qu’il est arrivé.

Lorsque, dans cet éternel conflit de juridiction, les chefs des nations ont été puissants, chacun d’eux a manifesté sa prééminence à sa mode. C’était un crime, dit-on, de cracher en présence du roi des Mèdes. Il faut frapper la terre de son front neuf fois devant le roi de la Chine. Un roi d’Angleterre imagina de ne jamais boire un verre de bière si on ne le lui présentait à genoux. Un autre se fait baiser son pied droit. Les cérémonies diffèrent ; mais tous en tout temps ont voulu avoir l’argent des peuples. Il y a des pays où l’on fait au krall, au chazan, une pension, comme en Pologne, en Suède, dans la Grande-Bretagne. Ailleurs un morceau de papier suffit pour que le bogdan ait tout l’argent qu’il désire.

Et puis, écrivez sur le droit des gens, sur la théorie de l’impôt, sur le tarif, sur le foderum mansionaticum, viaticum ; faites de beaux calculs sur la taille proportionnelle ; prouvez par de profonds raisonnements cette maxime si neuve que le berger doit tondre ses moutons, et non pas les écorcher.

Quelles sont les limites de la prérogative des rois et de la liberté des peuples ? Je vous conseille d’aller examiner cette question dans l’hôtel de ville d’Amsterdam, à tête reposée.



  1. Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie, 1771. (B.)