Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Les Sept Dormants

Éd. Garnier - Tome 18
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DORMANTS (LES SEPT)[1].

La fable imagina qu’un Épiménide avait dormi d’un somme pendant vingt-sept ans, et qu’à son réveil il fut tout étonné de trouver ses petits-enfants mariés qui lui demandaient son nom, ses amis morts, sa ville et les mœurs des habitants changés. C’était un beau champ à la critique, et un plaisant sujet de comédie. La légende a emprunté tous les traits de la fable, et les a grossis.

L’auteur de la Légende dorée ne fut pas le premier qui, au xiiie siècle, au lieu d’un dormeur nous en donna sept, et en fit bravement sept martyrs. Il avait pris cette édifiante histoire chez Grégoire de Tours, écrivain véridique, qui l’avait prise chez Sigebert, qui l’avait prise chez Métaphraste, qui l’avait prise chez Nicéphore. C’est ainsi que la vérité arrive aux hommes de main en main.

Le révérend P. Pierre Ribadeneira, de la compagnie de Jésus, enchérit encore sur la Légende dorée dans sa célèbre Fleur des saints, dont il est fait mention dans le Tartuffe de Molière. Elle fut traduite, augmentée et enrichie de tailles-douces, par le révérend P. Antoine Girard, de la même société ; rien n’y manque.

Quelques curieux seront peut-être bien aises de voir la prose du révérend P. Girard ; la voici :

« Du temps de l’empereur Dèce, l’Église reçut une furieuse et épouvantable bourrasque. Entre les autres chrétiens l’on prit sept frères, jeunes, bien dispos et de bonne grâce, qui étaient enfants d’un chevalier d’Éphèse, et qui s’appelaient Maximien, Marie, Martinien, Denis, Jean, Sérapion et Constantin. L’empereur leur ôta d’abord leur ceinture dorée... Ils se cachèrent dans une caverne ; l’empereur en fit murer l’entrée pour les faire mourir de faim. »

Aussitôt ils s’endormirent tous sept, et ne se réveillèrent qu’après avoir dormi cent soixante et dix-sept ans.

Le P. Girard, loin de croire que ce soit un conte à dormir debout, en prouve l’authenticité par les arguments les plus démonstratifs : et quand on n’aurait d’autre preuve que les noms des sept assoupis, cela suffirait ; on ne s’avise pas de donner des noms à des gens qui n’ont jamais existé. Les sept dormants ne pouvaient être ni trompés ni trompeurs. Aussi ce n’est pas pour contester cette histoire que nous en parlons, mais seulement pour remarquer qu’il n’y a pas un seul événement fabuleux de l’antiquité qui n’ait été rectifié par les anciens légendaires. Toute l’histoire d’Œdipe, d’Hercule, de Thésée, se trouve chez eux accommodée à leur manière. Ils ont peu inventé, mais ils ont beaucoup perfectionné.

J’avoue ingénument que je ne sais pas d’où Nicéphore avait tiré cette belle histoire. Je suppose que c’était de la tradition d’Éphèse : car la caverne des sept dormants, et la petite église qui leur est dédiée, subsistent encore. Les moins éveillés des pauvres Grecs y viennent faire leurs dévotions. Le chevalier Ricaut et plusieurs autres voyageurs anglais ont vu ces deux monuments ; mais pour leurs dévotions, ils ne les y ont pas faites.

Terminons ce petit article par le raisonnement d’Abbadie : « Voilà des mémoriaux institués pour célébrer à jamais l’aventure des sept dormants ; aucun Grec n’en a jamais douté dans Éphèse ; ces Grecs n’ont pu être abusés ; ils n’ont pu abuser personne : donc l’histoire des sept dormants est incontestable. »


  1. Questions sur l’Encyclopédie, quatrième partie, 1771. (B.)


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