Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Influence

Éd. Garnier - Tome 19
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INFLUENCE[1].

Tout ce qui vous entoure influe sur vous en physique, en morale ; vous le savez assez.

Peut-on influer sur un être sans toucher, sans remuer cet être ?

On a démontré enfin cette étonnante propriété de la matière, de graviter sans contact, d’agir à des distances immenses[2].

Une idée influe sur une idée : chose non moins compréhensible.

Je n’ai point au mont Krapack le livre de l’Empire du soleil et de la lune, composé par le célèbre médecin Mead, qu’on prononce Mid ; mais je sais bien que ces deux astres sont la cause des marées, et ce n’est point en touchant les flots de l’Océan qu’ils opèrent ce flux et ce reflux ; il est démontré que c’est par les lois de la gravitation.

Mais quand vous avez la fièvre, le soleil et la lune influent-ils sur vos jours critiques ? Votre femme n’a-t-elle ses règles qu’au premier quartier de la lune ? Les arbres que vous coupez dans la pleine lune pourrissent-ils plus tôt que s’ils avaient été coupés dans le décours ? non pas que je sache ; mais des bois coupés quand la sève circulait encore ont éprouvé la putréfaction plus tôt que les autres ; et si par hasard c’était en pleine lune qu’on les coupa, on aura dit : C’est cette pleine lune qui a fait tout le mal.

Votre femme aura eu ses menstrues dans le croissant ; mais votre voisine a les siennes dans le dernier quartier.

Les jours critiques de la fièvre que vous avez pour avoir trop mangé arrivent vers le premier quartier : votre voisin a les siens vers le décours.

Il faut bien que tout ce qui agit sur les animaux et sur les végétaux agisse pendant que la lune marche.

Si une femme de Lyon a remarqué qu’elle a eu trois ou quatre fois ses règles les jours que la diligence arrivait de Paris, son apothicaire, homme à système, sera-t-il en droit de conclure que la diligence de Paris a une influence admirable sur les canaux excrétoires de cette dame ?

Il a été un temps où tous les habitants des ports de mer de l’Océan étaient persuadés qu’on ne mourait jamais quand la marée montait, et que la mort attendait toujours le reflux.

Plusieurs médecins ne manquaient pas de fortes raisons pour expliquer ce phénomène constant. La mer, en montant, communique aux corps la force qui l’élève. Elle apporte des particules vivifiantes qui raniment tous les malades. Elle est salée, et le sel préserve de la pourriture attachée à la mort. Mais quand la mer s’affaisse et s’en retourne, tout s’affaisse comme elle : la nature languit, le malade n’est plus vivifié, il part avec la marée. Tout cela est bien expliqué, comme on voit, et n’en est pas plus vrai.

Les éléments, la nourriture, la veille, le sommeil, les passions, ont sur vous de continuelles influences. Tandis que ces influences exercent leur empire sur votre corps, les planètes marchent et les étoiles brillent. Direz-vous que leur marche et leur lumière sont la cause de votre rhume, de votre indigestion, de votre insomnie, de la colère ridicule où vous venez de vous mettre contre un mauvais raisonneur, de la passion que vous sentez pour cette femme ?

Mais la gravitation du soleil et de la lune a rendu la terre un peu plate au pôle, et élève deux fois l’Océan entre les tropiques en vingt-quatre heures : donc elle peut régler votre accès de fièvre, et gouverner toute votre machine. Attendez au moins que cela soit prouvé pour le dire[3].

Le soleil agit beaucoup sur nous par ses rayons, qui nous touchent et qui entrent dans nos pores : c’est là une très-sûre et très-bénigne influence. Il me semble que nous ne devons admettre en physique aucune action sans contact, jusqu’à ce que nous ayons trouvé quelque puissance bien reconnue qui agisse en distance, comme celle de la gravitation, et comme celle de vos pensées sur les miennes quand vous me fournissez des idées. Hors de là, je ne vois jusqu’à présent que des influences de la matière qui touche à la matière.

Le poisson de mon étang et moi, nous existons chacun dans notre séjour. L’eau, qui le touche de la tête à la queue, agit continuellement sur lui. L’atmosphère, qui m’environne et qui me presse, agit sur moi. Je ne dois attribuer à la lune, qui est à quatre-vingt-dix mille lieues de moi, rien de ce que je dois naturellement attribuer à ce qui touche sans cesse ma peau. C’est pis que si je voulais rendre la cour de la Chine responsable d’un procès que j’aurais en France. N’allons jamais au loin quand ce que nous cherchons est tout auprès.

Je vois que le savant M. Menuret est d’un avis contraire dans l’Encyclopédie, à l’article Influence. C’est ce qui m’oblige à me défier de tout ce que je viens de proposer. L’abbé de Saint-Pierre disait qu’il ne faut jamais prétendre avoir raison, mais dire : « Je suis de cette opinion quant à présent. »

INFLUENCE DES PASSIONS DES MÈRES SUR LEUR FŒTUS.

Je crois, quant à présent, que les affections violentes des femmes enceintes font quelquefois un prodigieux effet sur l’embryon qu’elles portent dans leur matrice, et je crois que je le croirai toujours ; ma raison est que je l’ai vu. Si je n’avais pour garant de mon opinion que le témoignage des historiens qui rapportent l’exemple de Marie Stuart et de son fils Jacques Ier, je suspendrais mon jugement, parce qu’il y a deux cents ans entre cette aventure et moi, ce qui affaiblit ma croyance ; parce que je puis attribuer l’impression faite sur le cerveau de Jacques à d’autres causes qu’à l’imagination de Marie. Des assassins royaux, à la tête desquels est son mari, entrent, l’épée à la main, dans le cabinet où elle soupe avec son amant, et le tuent à ses yeux : la révolution subite qui s’opère dans ses entrailles passe jusqu’à son fruit, et Jacques Ier, avec beaucoup de courage, sentit toute sa vie un frémissement involontaire quand on tirait une épée du fourreau. Il se pourrait, après tout, que ce petit mouvement dans ses organes eût une autre cause.

Mais on amène en ma présence, dans la cour d’une femme grosse, un bateleur qui fait danser un petit chien coiffé d’une espèce de toque rouge : la femme s’écrie qu’on fasse retirer cette figure ; elle nous dit que son enfant en sera marqué ; elle pleure, rien ne la rassure. » C’est la seconde fois, dit-elle, que ce malheur m’arrive. Mon premier enfant porte l’empreinte d’une terreur panique que j’ai éprouvée ; je suis faible, je sens qu’il m’arrivera un malheur. » Elle n’eut que trop raison. Elle accoucha d’un enfant qui ressemblait à cette figure dont elle avait été tant épouvantée. La toque surtout était très-aisée à reconnaître ; ce petit animal vécut deux jours.

Du temps de Malebranche, personne ne doutait de l’aventure qu’il rapporte de cette femme qui, ayant vu rouer un malfaiteur, mit au jour un fils dont les membres étaient brisés aux mêmes endroits où le patient avait été frappé. Tous les physiciens convenaient alors que l’imagination de cette mère avait eu sur son fœtus une influence funeste.

On a cru depuis être plus raffiné ; on a nié cette influence. On a dit : « Comment voulez-vous que les affections d’une mère aillent déranger les membres du fœtus ? » Je n’en sais rien ; mais je l’ai vu. Philosophes nouveaux, vous cherchez en vain comment un enfant se forme, et vous voulez que je sache comment il se déforme[4].



  1. Questions sur l’Encyclopédie, septième partie, 1771. (B.)
  2. On verra, quelques lignes plus loin, que Voltaire, malgré tout son respect pour l’attraction, ne reconnaît pas aussi nettement qu’on pourrait le croire l’existence de forces sans intermédiaire. (G. A.)
  3. Cette seule ligne contient tout ce qu’on peut dire de raisonnable sur ces influences, et en général sur tous les faits qui paraissent s’éloigner de l’ordre commun des phénomènes. Si l’existence de cet ordre est certaine pour nous, c’est que l’expérience nous la fait observer constamment. Attendons qu’une constance égale ait pu s’observer dans ces influences prétendues} alors nous y croirons de même, et avec autant de raison. (K.)
  4. Il faut appliquer ici la règle que M. de Voltaire a donnée dans l’article précédent. Mais il tombe ici dans une faute très-commune aux meilleurs esprits : c’est d’être plus frappé du fait positif qu’on a vu, ou qu’on a cru voir, que de mille faits négatifs. (K.)


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