Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Horloge

Éd. Garnier - Tome 19
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HORLOGE[1].
HORLOGE D’ACHAZ.

Il est assez connu que tout est prodige dans l’histoire des Juifs. Le miracle fait en faveur du roi Ézéchias sur son horloge, appelée l’horloge d’Achaz, est un des plus grands qui se soient jamais opérés. Il dut être aperçu de toute la terre, avoir dérangé à jamais tout le cours des astres, et particulièrement les moments des éclipses du soleil et de la lune ; il dut brouiller toutes les éphémérides. C’est pour la seconde fois que ce prodige arriva. Josué avait arrêté à midi le soleil sur Gabaon, et la lune sur Aïalon, pour avoir le temps de tuer une troupe d’Amorrhéens déjà écrasée par une pluie de pierres tombées du ciel.

Le soleil, au lieu de s’arrêter pour le roi Ézéchias, retourna en arrière, ce qui est à peu près la même aventure, mais différemment combinée.

D’abord Isaïe dit à Ézéchias qui était malade[2] : « Voici ce que dit le Seigneur Dieu : Mettez ordre à vos affaires, car vous mourrez, et alors vous ne vivrez plus. »

Ézéchias pleura. Dieu en fut attendri. Il lui fit dire par Isaïe qu’il vivrait encore quinze ans, et que dans trois jours il irait au temple. « Alors Isaïe se fit apporter un cataplasme de figues : on l’appliqua sur les ulcères du roi, et il fut guéri ; et curatus est. »

Ézéchias demanda un signe comme quoi il serait guéri. Isaïe lui dit : « Voulez-vous que l’ombre du soleil s’avance de dix degrés, ou qu’elle recule de dix degrés ? Ézéchias dit : Il est aisé que l’ombre avance de dix degrés, je veux qu’elle recule. Le prophète Isaïe invoqua le Seigneur, et il ramena l’ombre en arrière dans l’horloge d’Achaz, par les dix degrés par lesquels elle était déjà descendue. »

On demande ce que pouvait être cette horloge d’Achaz, si elle était de la façon d’un horloger nommé Achaz, ou si c’était un présent fait autrefois au roi du même nom. Ce n’est là qu’un objet de curiosité. On a disputé beaucoup sur cette horloge : les savants ont prouvé que les Juifs n’avaient jamais connu ni horloge ni gnomon avant leur captivité à Babylone, seul temps où ils apprirent quelque chose des Chaldéens, et où même le gros de la nation commença, dit-on, à lire et à écrire. On sait même que dans leur langue ils n’avaient aucun terme pour exprimer horloge, cadran, géométrie, astronomie ; et dans le texte du livre des Rois, l’horloge d’Achaz est appelée l’heure de la pierre.

Mais la grande question est de savoir comment le roi Ézéchias, possesseur de ce gnomon ou de ce cadran au soleil, de cette heure de la pierre, pouvait dire qu’il était aisé de faire avancer le soleil de dix degrés. Il est certainement aussi difficile de le faire avancer contre l’ordre du mouvement ordinaire que de le faire reculer.

La proposition du prophète paraît aussi étrange que le propos du roi. Voulez-vous que l’ombre avance en ce moment ou recule de dix heures ? Cela eût été bon à dire dans quelque ville de la Laponie, où le plus long jour de l’année eût été de vingt heures ; mais à Jérusalem, où le plus long jour de l’année est d’environ quatorze heures et demie, cela est absurde. Le roi et le prophète se trompaient tous deux grossièrement. Nous ne nions pas le miracle, nous le croyons très-vrai ; nous remarquons seulement qu’Ézéchias et Isaïe ne disaient pas ce qu’ils devaient dire. Quelque heure qu’il fût alors, c’était une chose impossible qu’il fût égal de faire reculer ou avancer l’ombre du cadran de dix heures. S’il était deux heures après midi, le prophète pouvait très-bien, sans doute, faire reculer l’ombre à quatre heures du matin. Mais en ce cas il ne pouvait pas la faire avancer de dix heures, puisque alors il eût été minuit, et qu’à minuit il est rare d’avoir l’ombre du soleil.

Il est difficile de deviner le temps où cette histoire fut écrite, mais ce ne peut être que vers le temps où les Juifs apprirent confusément qu’il y avait des gnomons et des cadrans au soleil. Or il est de fait qu’ils n’eurent une connaissance très-imparfaite de ces sciences qu’à Babylone.

Il y a encore une plus grande difficulté, c’est que les Juifs ne comptaient pas par heure comme nous ; c’est à quoi les commentateurs n’ont pas pensé.

Le même miracle était arrivé en Grèce le jour qu’Atrée fit servir les enfants de Thyeste pour le souper de leur père.

Le même miracle s’était fait encore plus sensiblement lorsque Jupiter coucha avec Alcmène. Il fallait une nuit double de la nuit naturelle pour former Hercule. Ces aventures sont communes dans l’antiquité, mais fort rares de nos jours, où tout dégénère.



  1. Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B.)
  2. Rois, livre IV, chapitre xx. (Note de Voltaire.)


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