Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Grâce

Éd. Garnier - Tome 19
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GRÂCE[1].

Dans les personnes, dans les ouvrages, grâce signifie non-seulement ce qui plaît, mais ce qui plaît avec attrait. C’est pourquoi les anciens avaient imaginé que la déesse de la beauté ne devait jamais paraître sans les Grâces. La beauté ne déplaît jamais ; mais elle peut être dépourvue de ce charme secret qui invite à la regarder, qui attire, qui remplit l’âme d’un sentiment doux. Les grâces dans la figure, dans le maintien, dans l’action, dans les discours, dépendent de ce mérite qui attire. Une belle personne n’aura point de grâces dans le visage si la bouche est fermée sans sourire, si les yeux sont sans douceur. Le sérieux n’est jamais gracieux ; il n’attire point ; il approche trop du sévère, qui rebute.

Un homme bien fait, dont le maintien est mal assuré ou gêné, la démarche précipitée ou pesante, les gestes lourds, n’a point de grâce, parce qu’il n’a rien de doux, de liant dans son extérieur.

La voix d’un orateur qui manquera d’inflexion et de douceur sera sans grâce.

Il en est de même dans tous les arts. La proportion, la beauté, peuvent n’être point gracieuses. On ne peut dire que les pyramides d’Égypte aient des grâces. On ne pourrait le dire du colosse de Rhodes comme de la Vénus de Cnide. Tout ce qui est uniquement dans le genre fort et vigoureux a un mérite qui n’est pas celui des grâces.

Ce serait mal connaître Michel-Ange et le Caravage que de leur attribuer les grâces de l’Albane. Le sixième livre de l’Énéide est sublime : le quatrième a plus de grâce. Quelques odes galantes d’Horace respirent les grâces, comme quelques-unes de ses épitres enseignent la raison.

Il semble qu’en général le petit, le joli en tout genre, soit plus susceptible de grâces que le grand. On louerait mal une oraison funèbre, une tragédie, un sermon, si on ne leur donnait que l’épithète de gracieux.

Ce n’est pas qu’il y ait un seul genre d’ouvrage qui puisse être bon en étant opposé aux grâces : car leur opposé est la rudesse, le sauvage, la sécheresse. L’Hercule Farnèse ne devait point avoir les grâces de l’Apollon du Belvédère et de l’Antinoüs ; mais il n’est ni rude, ni agreste. L’incendie de Troie, dans Virgile, n’est point décrit avec les grâces d’une élégie de Tibulle ; il plaît par des beautés fortes. Un ouvrage peut donc être sans grâces, sans que cet ouvrage ait le moindre désagrément. Le terrible, l’horrible, la description, la peinture d’un monstre, exigent qu’on s’éloigne de tout ce qui est gracieux, mais non pas qu’on affecte uniquement l’opposé. Car si un artiste, en quelque genre que ce soit, n’exprime que des choses affreuses, s’il ne les adoucit point par des contrastes agréables, il rebutera.

La grâce en peinture, en sculpture, consiste dans la mollesse des contours, dans une expression douce ; et la peinture a, par-dessus la sculpture, la grâce de l’union des parties, celle des figures qui s’animent l’une par l’autre, et qui se prêtent des agréments par leurs attributs et par leurs regards.

Les grâces de la diction, soit en éloquence, soit en poésie, dépendent du choix des mots, de l’harmonie des phrases, et encore plus de la délicatesse des idées et des descriptions riantes. L’abus des grâces est l’afféterie, comme l’abus du sublime est l’ampoulé : toute perfection est près d’un défaut.

Avoir de la grâce s’entend de la chose et de la personne : « Cet ajustement, cet ouvrage, cette femme, a de la grâce. » La bonne grâce appartient à la personne seulement : « Elle se présente de bonne grâce. Il a fait de bonne grâce ce qu’on attendait de lui. » Avoir des grâces. « Cette femme a des grâces dans son maintien, dans ce qu’elle dit, dans ce qu’elle fait. »

Obtenir sa grâce, c’est, par métaphore, obtenir son pardon, comme faire grâce est pardonner. On fait grâce d’une chose en s’emparant du reste. « Les commis lui prirent tous ses effets, et lui firent grâce de son argent. » Faire des grâces, répandre des grâces, est le plus bel apanage de la souveraineté : c’est faire du bien, c’est plus que justice. Avoir les bonnes grâces de quelqu’un ne se dit que par rapport à un supérieur ; avoir les bonnes grâces d’une dame, c’est être son amant favorisé. Être en grâce se dit d’un courtisan qui a été en disgrâce : on ne doit pas faire dépendre son bonheur de l’un, ni son malheur de l’autre. On appelle bonnes grâces ces demi-rideaux d’un lit qui sont aux deux côtés du chevet. Les grâces, en grec charites, terme qui signifie aimable.

Les Grâces, divinités de l’antiquité, sont une des plus belles allégories de la mythologie des Grecs. Comme cette mythologie varie toujours, tantôt par l’imagination des poëtes qui en furent les théologiens, tantôt par les usages des peuples, le nombre, les noms, les attributs des Grâces, changèrent souvent. Mais enfin on s’accorda à les fixer au nombre de trois, et à les nommer Aglaé, Thalie, Euphrosine, c’est-à-dire brillant, fleur, gaieté. Elles étaient toujours auprès de Vénus. Nul voile ne devait couvrir leurs charmes. Elles présidaient aux bienfaits, à la concorde, aux réjouissances, aux amours, à l’éloquence même ; elles étaient l’emblème sensible de tout ce qui peut rendre la vie agréable. On les peignait dansantes, et se tenant par la main : on n’entrait dans leurs temples que couronné de fleurs. Ceux qui ont condamné la mythologie fabuleuse devaient au moins avouer le mérite de ces fictions riantes, qui annoncent des vérités dont résulterait la félicité du genre humain.


  1. Encyclopédie, tome VII, 1757 (B.)
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