Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Force

Éd. Garnier - Tome 19
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FORCE[1].

Ce mot a été transporté du simple au figuré. Force se dit de toutes les parties du corps qui sont en mouvement, en action ; la force du cœur, que quelques-uns ont faite de quatre cents livres et d’autres de trois onces ; la force des viscères, des poumons, de la voix ; à force de bras.

On dit par analogie faire force de voiles, de rames ; rassembler ses forces ; connaître, mesurer ses forces ; aller, entreprendre au delà de ses forces ; le travail de l’Encyclopédie est au-dessus des forces de ceux qui se sont déchaînés contre ce livre. On a longtemps appelé forces de grands ciseaux, et c’est pourquoi dans les états de la Ligue on fit une estampe de l’ambassadeur d’Espagne, cherchant avec ses lunettes ses ciseaux qui étaient à terre, avec ce jeu de mots pour inscription : J’ai perdu mes forces.

Le style familier admet encore, force gens, force gibier, force fripons, force mauvais critiques. On dit : à force de travailler il s’est épuisé ; le fer s’affaiblit à force de le polir,

La métaphore qui a transporté ce mot dans la morale en a fait une vertu cardinale. La force, en ce sens, est le courage de soutenir l’adversité, et d’entreprendre des choses vertueuses et difficiles, animi fortitudo.

La force de l’esprit est la pénétration et la profondeur, ingenii vis. La nature la donne comme celle du corps : le travail modéré les augmente, et le travail outré les diminue.

La force d’un raisonnement consiste dans une exposition claire des preuves mises dans tout leur jour, et une conclusion juste ; elle n’a point lieu dans les théorèmes mathématiques, parce qu’une démonstration ne peut recevoir plus ou moins d’évidence, plus ou moins de force ; elle peut seulement procéder par un chemin plus long ou plus court, plus simple ou plus compliqué. La force du raisonnement a surtout lieu dans les questions problématiques. La force de l’éloquence n’est pas seulement une suite de raisonnements justes et vigoureux, qui subsisteraient avec la sécheresse ; cette force demande de l’embonpoint, des images frappantes, des termes énergiques. Ainsi on a dit que les sermons de Bourdaloue avaient plus de force, ceux de Massillon plus de grâce. Des vers peuvent avoir de la force, et manquer de toutes les autres beautés. La force d’un vers dans notre langue vient principalement de dire quelque chose dans chaque hémistiche :

Et monté sur le faîte, il aspire à descendre.

(Cinna, acte II, scène i.)

L’Éternel est son nom ; le monde est son ouvrage.

(Esther, acte III, scène iv.)

Ces deux vers, pleins de force et d’élégance, sont le meilleur modèle de la poésie.

La force, dans la peinture, est l’expression des muscles que des touches ressenties font paraître en action sous la chair qui les couvre. Il y a trop de force quand ces muscles sont trop prononcés. Les attitudes des combattants ont beaucoup de force dans les batailles de Constantin dessinées par Raphaël et par Jules Romain, et dans celles d’Alexandre peintes par Lebrun. La force outrée est dure dans la peinture, ampoulée dans la poésie.

Des philosophes ont prétendu que la force est une qualité inhérente à la matière, que chaque particule invisible, ou plutôt monade, est douée d’une force active ; mais il est aussi difficile de démontrer cette assertion qu’il le serait de prouver que la blancheur est une qualité inhérente à la matière, comme le dit le Dictionnaire de Trévoux à l’article inhérent.

La force de tout animal a reçu son plus haut degré quand l’animal a pris toute sa croissance. Elle décroit quand les muscles ne reçoivent plus une nourriture égale ; et cette nourriture cesse d’être égale quand les esprits animaux n’impriment plus à ces muscles le mouvement accoutumé. Il est si probable que ces esprits animaux sont du feu que les vieillards manquent de mouvement, de force, à mesure qu’ils manquent de chaleur.


  1. Encyclopédie, tome VII, 1757. (B.)


Force physique

Force

Fornication