Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Conséquence

Éd. Garnier - Tome 18



CONSÉQUENCE[1].

Quelle est donc notre nature, et qu’est-ce que notre chétif esprit ? Quoi ! l’on peut tirer les conséquences les plus justes, les plus lumineuses, et n’avoir pas le sens commun ? Cela n’est que trop vrai. Le fou d’Athènes qui croyait que tous les vaisseaux qui abordaient au Pirée lui appartenaient pouvait calculer merveilleusement combien valait le chargement de ces vaisseaux, et en combien de jours ils pouvaient arriver de Smyrne au Pirée.

Nous avons vu des imbéciles qui ont fait des calculs et des raisonnements bien plus étonnants. Ils n’étaient donc pas imbéciles, me dites-vous. Je vous demande pardon, ils l’étaient. Ils posaient tout leur édifice sur un principe absurde ; ils enfilaient régulièrement des chimères. Un homme peut marcher très-bien et s’égarer, et alors mieux il marche et plus il s’égare.

Le Fo des Indiens eut pour père un éléphant qui daigna faire un enfant à une princesse indienne, laquelle accoucha du dieu Fo par le côté gauche. Cette princesse était la propre sœur d’un empereur des Indes : donc Fo était le neveu de l’empereur ; et les petit-fils de l’éléphant et du monarque étaient cousins issus de germain ; donc, selon les lois de l’État, la race de l’empereur étant éteinte, ce sont les descendants de l’éléphant qui doivent succéder. Le principe reçu, on ne peut mieux conclure.

Il est dit que l’éléphant divin était haut de neuf pieds de roi. Tu présumes avec raison que la porte de son écurie devait avoir plus de neuf pieds, afin qu’il pût y entrer à son aise. Il mangeait cinquante livres de riz par jour, vingt-cinq livres de sucre, et buvait vingt-cinq livres d’eau. Tu trouves par ton arithmétique qu’il avalait trente-six mille cinq cents livres pesant par année ; on ne peut compter mieux. Mais ton éléphant a-t-il existé ? était-il beau-frère de l’empereur ? sa femme a-t-elle fait un enfant par le côté gauche ? c’est là ce qu’il fallait examiner. Vingt auteurs qui vivaient à la Cochinchine l’ont écrit l’un après l’autre : tu devais confronter ces vingt auteurs, peser leurs témoignages, consulter les anciennes archives, voir s’il est question de cet éléphant dans les registres, examiner si ce n’est point une fable que des imposteurs ont eu intérêt d’accréditer. Tu es parti d’un principe extravagant pour en tirer des conclusions justes.

C’est moins la logique qui manque aux hommes que la source de logique. Il ne s’agit pas de dire : Six vaisseaux qui m’appartiennent sont chacun de deux cents tonneaux, le tonneau est de deux mille livres pesant ; donc j’ai douze cent mille livres de marchandises au port du Pirée. Le grand point est de savoir si ces vaisseaux sont à toi. Voilà le principe dont la fortune dépend ; tu compteras après[2].

Un ignorant fanatique et conséquent est souvent un homme à étouffer. Il aura lu que Phinées, transporté d’un saint zèle, ayant trouvé un Juif couché avec une Madianite, les tua tous deux, et fut imité par les lévites, qui massacrèrent tous les ménages moitié madianites et moitié juifs. Il sait que son voisin catholique couche avec sa voisine huguenote ; il les tuera tous deux sans difficulté : on ne peut agir plus conséquemment. Quel est le remède à cette maladie horrible de l’âme ? C’est d’accoutumer de bonne heure les enfants à ne rien admettre qui choque la raison ; de ne leur conter jamais d’histoires de revenants, de fantômes, de sorciers, de possédés, de prodiges ridicules. Une fille d’une imagination tendre et sensible entend parler de possessions : elle tombe dans une maladie de nerfs, elle a des convulsions, elle se croit possédée. J’en ai vu mourir une de la révolution que ces abominables histoires avaient faite dans ses organes[3].



  1. Questions sur l’Encyclopédie, quatrième partie, 1771. (B.)
  2. Voyez l’article Principe.
  3. Voyez l’article Esprit, section iv ; et l’article Fanatisme, section ii. (Note de Voltaire.)
Conseiller ou juge

Conséquence

Conspirations contre les peuples