Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Caractère

Éd. Garnier - Tome 18
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CARACTÈRE[1].

Du mot grec impression, gravure. C’est ce que la nature a gravé dans nous.

Peut-on changer de caractère ? Oui, si on change de corps. Il se peut qu’un homme né brouillon, inflexible et violent, étant tombé dans sa vieillesse en apoplexie, devienne un sot enfant pleureur, timide et paisible. Son corps n’est plus le même. Mais tant que ses nerfs, son sang et sa moelle allongée seront dans le même état, son naturel ne changera pas plus que l’instinct d’un loup et d’une fouine.

L’auteur anglais du Dispensary, petit poëme très-supérieur aux Capitoli italiens, et peut-être même au Lutrin de Boileau, a très-bien dit, ce me semble :

Un mélange secret de feu, de terre et d’eau
Fit le cœur de César et celui de Nassau.

D’un ressort inconnu le pouvoir invincible
Rendit Slone impudent et sa femme sensible.

Le caractère est formé de nos idées et de nos sentiments : or il est très-prouvé qu’on ne se donne ni sentiments ni idées ; donc notre caractère ne peut dépendre de nous.

S’il en dépendait, il n’y a personne qui ne fût parfait. Nous ne pouvons nous donner des goûts, des talents ; pourquoi nous donnerions-nous des qualités ?

Quand on ne réfléchit pas, on se croit le maître de tout, quand on y réfléchit, on voit qu’on n’est maître de rien.

Voulez-vous changer absolument le caractère d’un homme, purgez-le tous les jours avec des délayants jusqu’à ce que vous l’ayez tué. Charles XII, dans sa fièvre de suppuration sur le chemin de Bender, n’était plus le même homme. On disposait de lui comme d’un enfant.

Si j’ai un nez de travers et deux yeux de chat, je peux les cacher avec un masque. Puis-je davantage sur le caractère que m’a donné la nature ?

Un homme né violent, emporté, se présente devant François Ier, roi de France, pour se plaindre d’un passe-droit ; le visage du prince, le maintien respectueux des courtisans, le lieu même où il est, font une impression puissante sur cet homme ; il baisse machinalement les yeux, sa voix rude s’adoucit, il présente humblement sa requête, on le croirait né aussi doux que le sont (dans ce moment au moins) les courtisans au milieu desquels il est même déconcerté ; mais si François Ier se connaît en physionomie, il découvre aisément dans ses yeux baissés, mais allumés d’un feu sombre, dans les muscles tendus de son visage, dans ses lèvres serrées l’une contre l’autre, que cet homme n’est pas si doux qu’il est forcé de le paraître. Cet homme le suit à Pavie, est pris avec lui, mené avec lui en prison à Madrid : la majesté de François Ier ne fait plus sur lui la même impression ; il se familiarise avec l’objet de son respect. Un jour en tirant les bottes du roi, et les tirant mal, le roi, aigri par son malheur, se fâche ; mon homme envoie promener le roi, et jette ses bottes par la fenêtre.

Sixte-Quint était né pétulant, opiniâtre, altier, impétueux, vindicatif, arrogant : ce caractère semble adouci dans les épreuves de son noviciat. Commence-t-il à jouir de quelque crédit dans son ordre, il s’emporte contre un gardien, et l’assomme à coups de poing ; est-il inquisiteur à Venise, il exerce sa charge avec insolence ; le voilà cardinal, il est possédé dalla rabbia papale : cette rage l’emporte sur son naturel ; il ensevelit dans l’obscurité sa personne et son caractère ; il contrefait l’humble et le moribond ; on l’élit pape : ce moment rend au ressort, que la politique avait plié, toute son élasticité longtemps retenue ; il est le plus fier et le plus despotique des souverains.

Naturam expellas furca, tamen usque recurret.

(Hor., liv. I, ep. ix.)

Chassez le naturel, il revient au galop.

(Destouches, Glorieux, acte III, scène v.)

La religion, la morale, mettent un frein à la force du naturel ; elles ne peuvent le détruire. L’ivrogne dans un cloître, réduit à un demi-setier de cidre à chaque repas, ne s’enivrera plus, mais il aimera toujours le vin.

L’âge affaiblit le caractère ; c’est un arbre qui ne produit plus que quelques fruits dégénérés, mais ils sont toujours de même nature ; il se couvre de nœuds et de mousse, il devient vermoulu, mais il est toujours chêne ou poirier. Si on pouvait changer son caractère, on s’en donnerait un, on serait le maître de la nature. Peut-on se donner quelque chose ? ne recevons-nous pas tout ? Essayez d’animer l’indolent d’une activité suivie, de glacer par l’apathie l’âme bouillante de l’impétueux, d’inspirer du goût pour la musique et pour la poésie à celui qui manque de goût et d’oreille, vous n’y parviendrez pas plus que si vous entrepreniez de donner la vue à un aveugle-né. Nous perfectionnons, nous adoucissons, nous cachons ce que la nature a mis dans nous ; mais nous n’y mettons rien.

On dit à un cultivateur : Vous avez trop de poissons dans ce vivier, ils ne prospéreront pas ; voilà trop de bestiaux dans vos prés, l’herbe manque, ils maigriront. Il arrive après cette exhortation que les brochets mangent la moitié des carpes de mon homme, et les loups la moitié de ses moutons ; le reste engraisse. S’applaudira-t-il de son économie ? Ce campagnard, c’est toi-même ; une de tes passions a dévoré les autres, et tu crois avoir triomphé de toi. Ne ressemblons-nous pas presque tous à ce vieux général de quatre-vingt-dix ans, qui, ayant rencontré de jeunes officiers qui faisaient un peu de désordre avec des filles, leur dit tout en colère : « Messieurs, est-ce là l’exemple que je vous donne ? »



  1. Dictionnaire philosophique, 1764. (B.)


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