Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Barac et Débora

Éd. Garnier - Tome 17
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BARAC ET DÉBORA[1],

et, par occasion, des chars de guerre.

Nous ne prétendons point discuter ici en quel temps Barac fut chef du peuple juif ; pourquoi, étant chef, il laissa commander son armée par une femme ; si cette femme, nommée Débora, avait épousé Lapidoth ; si elle était la parente ou l’amie de Barac, ou même sa fille ou sa mère ; ni quel jour se donna la bataille du Thabor en Galilée, entre cette Débora et le capitaine Sisara, général des armées du roi Jabin, lequel Sisara commandait vers la Galilée une armée de trois cent mille fantassins, dix mille cavaliers, et trois mille chars armés en guerre, si l’on en croit l’historien Josèphe[2].

Nous laisserons même ce Jabin, roi d’un village nommé Azor, qui avait plus de troupes que le Grand Turc. Nous plaignons beaucoup la destinée de son grand-vizir Sisara, qui, ayant perdu la bataille en Galilée, sauta de son chariot à quatre chevaux, et s’enfuit à pied pour courir plus vite. Il alla demander l’hospitalité à une sainte femme juive, qui lui donna du lait, et qui lui enfonça un grand clou de charrette dans la tête, quand il fut endormi. Nous en sommes très-fâchés ; mais ce n’est pas cela dont il s’agit : nous voulons parler des chariots de guerre.

C’est au pied du mont Thabor, auprès du torrent de Cison, que se donna la bataille. Le mont Thabor est une montagne escarpée dont les branches, un peu moins hautes, s’étendent dans une grande partie de la Galilée. Entre cette montagne et les rochers voisins est une petite plaine semée de gros cailloux, et impraticable aux évolutions de la cavalerie. Cette plaine est de quatre à cinq cents pas. Il est à croire que le capitaine Sisara n’y rangea pas ses trois cent mille hommes en bataille ; ses trois mille chariots auraient difficilement manœuvré dans cet endroit.

Il est à croire que les Hébreux n’avaient point de chariots de guerre dans un pays uniquement renommé pour les ânes ; mais les Asiatiques s’en servaient dans les grandes plaines.

Confucius, ou plutôt Confutzée, dit positivement[3] que de temps immémorial les vice-rois des provinces de la Chine étaient tenus de fournir à l’empereur chacun mille chariots de guerre attelés de quatre chevaux.

Les chars devaient être en usage longtemps avant la guerre de Troie, puisque Homère ne dit point que ce fût une invention nouvelle ; mais ces chars n’étaient point armés comme ceux de Babylone ; les roues ni l’essieu ne portaient point de fers tranchants.

Cette invention dut être d’abord très-formidable dans les grandes plaines, surtout quand les chars étaient en grand nombre, et qu’ils couraient avec impétuosité, garnis de longues piques et de faux ; mais quand on y fut accoutumé, il parut si aisé d’éviter leur choc qu’ils cessèrent d’être en usage par toute la terre.

On proposa, dans la guerre de 1741[4], de renouveler cette ancienne invention et de la rectifier.

Un ministre d’État fit construire un de ces chariots, qu’on essaya. On prétendait que, dans des grandes plaines comme celles de Lutzen, on pourrait s’en servir avec avantage, en les cachant derrière la cavalerie, dont les escadrons s’ouvriraient pour les laisser passer, et les suivraient ensuite. Les généraux jugèrent que cette manœuvre serait inutile, et même dangereuse, dans un temps où le canon seul gagne les batailles. Il fut répliqué qu’il y aurait dans l’armée à chars de guerre autant de canons pour les protéger qu’il y en aurait dans l’armée ennemie pour les fracasser. On ajouta que ces chars seraient d’abord à l’abri du canon derrière les bataillons ou escadrons, que ceux-ci s’ouvriraient pour laisser courir ces chars avec impétuosité, que cette attaque inattendue pourrait faire un effet prodigieux. Les généraux n’opposèrent rien à ces raisons ; mais ils ne voulurent point jouer à ce jeu renouvelé des Perses.


  1. Questions sur l’Encyclopédie, troisième partie, 1770. (B.)
  2. Antiq. jud., livre V. (Note de Voltaire.)
  3. Livre III. (Note de Voltaire.)
  4. Dans sa lettre à Catherine du 27 mai 1769, Voltaire dit que ce fut dans la guerre de 1756 ; et il paraît que ce fut en 1756 ; voyez la lettre à Richelieu, 18 juin 1757.


Baptême

Barac et Débora

Barbe