Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Augure

Éd. Garnier - Tome 17
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AUGURE[1].

Ne faut-il pas être bien possédé du démon de l’étymologie pour dire, avec Pezron et d’autres, que le mot romain augurium vient des mots celtiques au et gur ? Au, selon ces savants, devait signifier le foie chez les Basques et les Bas-Breton, parce que asu, qui, disent-ils, signifiait gauche, devait aussi désigner le foie, qui est à droite ; et que gur voulait dire homme, ou bien jaune ou rouge, dans cette langue celtique dont il ne nous reste aucun monument. C’est puissamment raisonner[2].

On a poussé sa curiosité absurde (car il faut appeler les choses par leur nom) jusqu’à faire venir du chaldéen et de l’hébreu certains mots teutons et celtiques. Bochart n’y manque jamais. On admirait autrefois ces pédantes extravagances. Il faut voir avec quelle confiance ces hommes de génie ont prouvé que sur les bords du Tibre on emprunta des expressions du patois des sauvages de la Biscaye. On prétend même que ce patois était un des premiers idiomes de la langue primitive, de la langue mère de toutes les langues qu’on parle dans l’univers entier. Il ne reste plus qu’à dire que les différents ramages des oiseaux viennent du cri des deux premiers perroquets dont toutes les autres espèces d’oiseaux ont été produites.

La folie religieuse des augures était originairement fondée sur des observations très-naturelles et très-sages. Les oiseaux de passage ont toujours indiqué les saisons : on les voit venir par troupes au printemps, et s’en retourner en automne. Le coucou ne se fait entendre que dans les beaux jours, il semble qu’il les appelle ; les hirondelles qui rasent la terre annoncent la pluie ; chaque climat a son oiseau qui est en effet son augure.

Parmi les observateurs il se trouva sans doute des fripons qui persuadèrent aux sots qu’il y avait quelque chose de divin dans ces animaux, et que leur vol présageait nos destinées, qui étaient écrites sous les ailes d’un moineau tout aussi clairement que dans les étoiles.

Les commentateurs de l’histoire allégorique et intéressante de Joseph vendu par ses frères, et devenu premier ministre du pharaon roi d’Égypte pour avoir expliqué un de ses rêves, infèrent que Joseph était savant dans la science des augures, de ce que l’intendant de Joseph est chargé de dire à ses frères[3] : « Pourquoi avez-vous volé la tasse d’argent de mon maître, dans laquelle il boit, et avec laquelle il a coutume de prendre les augures ? » Joseph, ayant fait venir ses frères devant lui, leur dit : « Comment avez-vous pu agir ainsi ? ignorez-vous que personne n’est semblable à moi dans la science des augures ? »

Juda convient, au nom de ses frères[4] que « Joseph est un grand devin ; que c’est Dieu qui l’a inspiré ; Dieu a trouvé l’iniquité de vos serviteurs ». Ils prenaient alors Joseph pour un seigneur égyptien. Il est évident, par le texte, qu’ils croyaient que le dieu des Égyptiens et des Juifs avait découvert à ce ministre le vol de sa tasse.

Voilà donc les augures, la divination très-nettement établie dans le livre de la Genèse, et si bien établie qu’elle est défendue ensuite dans le Lévitique, où il est dit[5] : « Vous ne mangerez rien où il y ait du sang ; vous n’observerez ni les augures ni les songes ; vous ne couperez point votre chevelure en rond ; vous ne vous raserez point la barbe. »

À l’égard de la superstition de voir l’avenir dans une tasse, elle dure encore : cela s’appelle voir dans le verre. Il faut n’avoir éprouvé aucune pollution, se tourner vers l’orient, prononcer abraxa per dominum nostrum ; après quoi on voit dans un verre plein d’eau toutes les choses qu’on veut. On choisit d’ordinaire des enfants pour cette opération ; il faut qu’ils aient leurs cheveux : une tête rasée ou une tête en perruque ne peuvent rien voir dans le verre. Cette facétie était fort à la mode en France sous la régence du duc d’Orléans, et encore plus dans les temps précédents.

Pour les augures, ils ont péri avec l’empire romain ; les évêques ont seulement conservé le bâton augural, qu’on appelle crosse, et qui était une marque distinctive de la dignité des augures ; et le symbole du mensonge est devenu celui de la vérité.

Les différentes sortes de divinations étaient innombrables ; plusieurs se sont conservées jusqu’à nos derniers temps. Cette curiosité de lire dans l’avenir est une maladie que la philosophie seule peut guérir : car les âmes faibles qui pratiquent encore tous ces prétendus arts de la divination, les fous mêmes qui se donnent au diable, font tous servir la religion à ces profanations qui l’outragent.

C’est une remarque digne des sages que Cicéron, qui était du collège des augures, ait fait un livre exprès pour se moquer des augures[6] mais ils n’ont pas moins remarqué que Cicéron, à la fin de son livre, dit qu’il faut « détruire la superstition, et non pas la religion. Car, ajoute-t-il, la beauté de l’univers et l’ordre des choses célestes nous forcent de reconnaître une nature éternelle et puissante. Il faut maintenir la religion qui est jointe à la connaissance de cette nature, en extirpant toutes les racines de la superstition : car c’est un monstre qui vous poursuit, qui vous presse, de quelque côté que vous vous tourniez. La rencontre d’un devin prétendu, un présage, une victime immolée, un oiseau, un chaldéen, un aruspice, un éclair, un coup de tonnerre, un événement conforme par hasard à ce qui a été prédit, tout enfin vous trouble et vous inquiète. Le sommeil même, qui devrait faire oublier tant de peines et de frayeurs, ne sert qu’à les redoubler par des images funestes ».

Cicéron croyait ne parler qu’à quelques Romains : il parlait à tous les hommes et à tous les siècles.

La plupart des grands de Rome ne croyaient pas plus aux augures que le pape Alexandre VI, Jules II, et Léon X, ne croyaient à Notre-Dame de Lorette et au sang de saint Janvier. Cependant Suétone rapporte qu’Octave, surnommé Auguste, eut la faiblesse de croire qu’un poisson qui sortait hors de la mer sur le rivage d’Actium lui présageait le gain de la bataille. Il ajoute qu’ayant ensuite rencontré un ânier, il lui demanda le nom de son âne, et que l’ànier lui ayant répondu que son âne s’appelait Nicolas, qui signifie vainqueur des peuples, Octave ne douta plus de la victoire ; et qu’ensuite il fit ériger des statues d’airain à l’ânier, à l’âne, et au poisson sautant[7]. Il assure même que ces statues furent placées dans le Capitole.

Il est fort vraisemblable que ce tyran habile se moquait des superstitions des Romains, et que son âne, son ânier, et son poisson, n’étaient qu’une plaisanterie. Cependant il se peut très-bien qu’en méprisant toutes les sottises du vulgaire, il en eût conservé quelques-unes pour lui. Le barbare et dissimulé Louis XI avait une foi vive à la croix de Saint-Lô. Presque tous les princes, excepté ceux qui ont eu le temps de lire, et de bien lire, ont un petit coin de superstition.


  1. Questions sur l’Encyclopédie, deuxième partie, 1770. (B.)
  2. La première syllabe de ce mot augure est une forme contractée d’avis, oiseau. La seconde syllabe, qui avait sans doute un sens dans les idiomes antiques de l’Italie, est étrangère à tout ce qui nous reste de mots latins. (Encyclopédie nouvelle.)
  3. Genèse, chapitre xliv, v. 5 et suiv. (Note de Voltaire.)
  4. Genèse, chapitre xliv, v. 16. (Note de Voltaire.)
  5. Lévitique, chapitre xix, v. 20 et 27. (Id.)
  6. Son traité De Divinatione en deux livres.
  7. C’est à deux actions différentes qu’eurent lieu les présages rapportés par Suétone ; voici le texte de cet auteur (Octave, chapitre clvi) : « Pridie quam siciliensem pugnam classe committeret, deambulanti in littore piscis e mari exsiluit, et ad pedes jacuit. Apud Actium, descendenti in aciem asellus cum asinario occurrit : Eytichus homini, bestiæ Nicon, erat nomen. Utriusque simulacrum æneum victor posuit in templo, in quod castrorum suorum locum vertit. — La veille du combat naval qui le rendit maître de la Sicile, un poisson s’élança hors de la mer et tomba à ses pieds, lorsqu’il se promenait sur le rivage. En allant livrer la bataille d’Actium il rencontra un âne avec son conducteur : l’homme se nommait Eutichus, et sa bête Nicon. Après la victoire il fit placer leurs deux figures en bronze dans le temple qu’il bâtit à l’endroit où il avait campé. » Cette traduction est de M. Lévesque.


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