Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Amitié

Éd. Garnier - Tome 17
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AMITIÉ[1].


On a parlé depuis longtemps du temple de l’Amitié, et l’on sait qu’il a été peu fréquenté.

En vieux langage on voit sur la façade
Les noms sacrés d’Oreste et de Pylade,
Le médaillon du bon Pirithoüs,
Du sage Achate et du tendre Nisus,
Tous grands héros, tous amis véritables :
Ces noms sont beaux ; mais ils sont dans les fables[2].

On sait que l’amitié ne se commande pas plus que l’amour et l’estime. « Aime ton prochain signifie secours ton prochain ; mais non pas jouis avec plaisir de sa conversation s’il est ennuyeux, confie-lui tes secrets s’il est un babillard, prête-lui ton argent s’il est un dissipateur. »

L’amitié est le mariage de l'âme, et ce mariage est sujet au divorce. C’est[3] un contrat tacite entre deux personnes sensibles et vertueuses. Je dis sensibles, car un moine, un solitaire peut n’être point méchant et vivre sans connaître l’amitié. Je dis vertueuses, car les méchants n’ont que des complices, les voluptueux ont des compagnons de débauche, les intéressés ont des associés, les politiques assemblent des factieux, le commun des hommes oisifs a des liaisons, les princes ont des courtisans ; les hommes vertueux ont seuls des amis.

Céthégus était le complice de Catilina, et Mécène le courtisan d’Octave ; mais Cicéron était l’ami d’Atticus.

Que porte ce contrat entre deux âmes tendres et honnêtes ? les obligations en sont plus fortes et plus faibles, selon les degrés de sensibilité et le nombre des services rendus, etc.

L’enthousiasme de l’amitié a été plus fort chez les Grecs et chez les Arabes[4] que chez nous. Les contes que ces peuples ont imaginés sur l’amitié sont admirables[5]; nous n’en avons point de pareils. Nous sommes un peu secs en tout. Je ne vois nul grand trait d’amitié dans nos romans, dans nos histoires, sur notre théâtre.

Il n’est parlé d’amitié chez les Juifs qu’entre Jonathas et David. Il est dit que David l’aimait d’un amour plus fort que celui des femmes ; mais aussi il est dit que David, après la mort de son ami, dépouilla Miphibozeth son fils, et le fit mourir.

L’amitié était un point de religion et de législation chez les Grecs. Les Thébains avaient le régiment des amants[6] : beau régiment ! quelques-uns l’ont pris pour un régiment de non-conformistes, ils se trompent ; c’est prendre un accessoire honteux pour le principal honnête. L’amitié chez les Grecs était prescrite par la loi et la religion. La pédérastie était malheureusement tolérée par les mœurs : il ne faut pas imputer à la loi des abus indignes.


  1. Le commencement de cet article fut ajouté en 1770 dans les Questions sur l’Encyclopédie. (B.)
  2. Ces vers sont de Voltaire, dans son Temple de l’Amitié ; voyez tome XI, page 372.
  3. Dans le Dictionnaire philosophique de 1764, c’était ici que commençait l’article. (B.)
  4. Voyez l’article Arabes. (Note de Voltaire).
  5. Voyez l'article Arabes. (Note de Voltaire.)
  6. Voyez l’article Amour socratique. (Id.)


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