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Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Alcoran
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SECTION PREMIÈRE[1].
Ce livre gouverne despotiquement toute l’Afrique septentrionale, du mont Atlas au désert de Barca, toute l’Égypte, les côtes de l’Océan éthiopien dans l’espace de six cents lieues, la Syrie, l’Asie Mineure, tous les pays qui entourent la mer Noire et la mer Caspienne, excepté le royaume d’Astracan, tout l’empire de l’Indoustan, toute la Perse, une grande partie de la Tartarie, et dans notre Europe la Thrace, la Macédoine, la Bulgarie, la Servie, la Bosnie, toute la Grèce, l’Épire, et presque toutes les îles jusqu’au petit détroit d’Otrante, où finissent toutes ces immenses possessions.
Dans cette prodigieuse étendue de pays il n’y a pas un seul mahométan qui ait le bonheur de lire nos livres sacrés, et très peu de littérateurs parmi nous connaissent le Koran. Nous nous en faisons presque toujours une idée ridicule, malgré les recherches de nos véritables savants.
Voici les premières lignes de ce livre :
« Louanges à Dieu, le souverain de tous les mondes, au Dieu de miséricorde, au souverain du jour de la justice ; c’est toi que nous adorons, c’est de toi seul que nous attendons la protection. Conduis-nous dans les voies droites, dans les voies de ceux que tu as comblés de tes grâces, non dans les voies des objets de ta colère, et de ceux qui se sont égarés. »
Telle est l’introduction, après quoi l’on voit trois lettres, A, L, M, qui, selon le savant Sale, ne s’entendent point, puisque chaque commentateur les explique à sa manière ; mais selon la plus commune opinion elles signifient : Allah, Latif, Magid, Dieu, la grâce, la gloire.
Mahomet continue, et c’est Dieu lui-même qui lui parle. Voici ses propres mots :
« Ce livre n’admet point le doute, il est la direction des justes qui croient aux profondeurs de la foi, qui observent les temps de la prière, qui répandent en aumônes ce que nous avons daigné leur donner, qui sont convaincus de la révélation descendue jusqu’à toi, et envoyée aux prophètes avant toi. Que les fidèles aient une ferme assurance dans la vie à venir ; qu’ils soient dirigés par leur seigneur, et ils seront heureux.
« À l’égard des incrédules, il est égal pour eux que tu les avertisses ou non ; ils ne croient pas : le sceau de l’infidélité est sur leur cœur et sur leurs oreilles ; les ténèbres couvrent leurs yeux ; la punition terrible les attend.
« Quelques-uns disent : Nous croyons en Dieu, et au dernier jour ; mais au fond ils ne sont pas croyants. Ils imaginent tromper l’Éternel ; ils se trompent eux-mêmes sans le savoir ; l’infirmité est dans leur cœur, et Dieu même augmente cette infirmité, etc. »
On prétend que ces paroles ont cent fois plus d’énergie en arabe. En effet l’Alcoran passe encore aujourd’hui pour le livre le plus élégant et le plus sublime qui ait encore été écrit dans cette langue.
Nous avons imputé à l’Alcoran une infinité de sottises qui n’y furent jamais[2].
Ce fut principalement contre les Turcs devenus mahométans que nos moines écrivirent tant de livres, lorsqu’on ne pouvait guère répondre autrement aux conquérants de Constantinople. Nos auteurs, qui sont en beaucoup plus grand nombre que les janissaires, n’eurent pas beaucoup de peine à mettre nos femmes dans leur parti : ils leur persuadèrent que Mahomet ne les regardait pas comme des animaux intelligents ; qu’elles étaient toutes esclaves par les lois de l’Alcoran ; qu’elles ne possédaient aucun bien dans ce monde, et que dans l’autre elles n’avaient aucune part au paradis. Tout cela est d’une fausseté évidente ; et tout cela a été cru fermement.
Il suffisait pourtant de lire le second et le quatrième sura[3] ou chapitre de l’Alcoran pour être détrompé ; on y trouverait les lois suivantes ; elles sont traduites également par du Ryer, qui demeura longtemps à Constantinople ; par Maracci, qui n’y alla jamais, et par Sale, qui vécut vingt-cinq ans parmi les Arabes.
I.
« N’épousez de femmes idolâtres que quand elles seront croyantes. Une servante musulmane vaut mieux que la plus grande dame idolâtre.
« Ceux qui font vœu de chasteté ayant des femmes attendront quatre mois pour se déterminer.
« Les femmes se comporteront envers leur maris comme leurs maris envers elles.
« Vous pouvez faire un divorce deux fois avec votre femme ; mais à la troisième, si vous la renvoyez, c’est pour jamais ; ou vous la retiendrez avec humanité, ou vous la renverrez avec bonté. Il ne vous est pas permis de rien retenir de ce que vous lui avez donné.
« Les honnêtes femmes sont obéissantes et attentives, même pendant l’absence de leurs maris. Si elles sont sages, gardez-vous de leur faire la moindre querelle ; s’il en arrive une, prenez un arbitre de votre famille et un de la sienne.
« Prenez une femme, ou deux, ou trois, ou quatre, et jamais davantage. Mais dans la crainte de ne pouvoir agir équitablement envers plusieurs, n’en prenez qu’une. Donnez-leur un douaire convenable ; ayez soin d’elles, ne leur parlez jamais qu’avec amitié...
« Il ne vous est pas permis d’hériter de vos femmes contre leur gré, ni de les empêcher de se marier à d’autres après le divorce, pour vous emparer de leur douaire, à moins quelles n’aient été déclarées coupables de quelque crime.
« Si vous voulez quitter votre femme pour en prendre une autre, quand vous lui auriez donné la valeur d’un talent en mariage, ne prenez rien d’elle.
« Il vous est permis d’épouser des esclaves, mais il est mieux de vous en abstenir,
« Une femme renvoyée est obligée d’allaiter son enfant pendant deux ans, et le père est obligé pendant ce temps-là de donner un entretien honnête selon sa condition. Si on sèvre l’enfant avant deux ans, il faut le consentement du père et de la mère. Si vous êtes obligé de le confier à une nourrice étrangère, vous la payerez raisonnablement. »
En voilà suffisamment pour réconcilier les femmes avec Mahomet, qui ne les a pas traitées si durement qu’on le dit. Nous ne prétendons point le justifier ni sur son ignorance, ni sur son imposture ; mais nous ne pouvons le condamner sur sa doctrine d’un seul Dieu. Ces seules paroles du sura 122 : « Dieu est unique, éternel, il n’engendre point, il n’est point engendré, rien n’est semblable à lui ; » ces paroles, dis-je, lui ont soumis l’Orient encore plus que son épée.
Au reste, cet Alcoran dont nous parlons est un recueil de révélations ridicules et de prédications vagues et incohérentes, mais de lois très bonnes pour le pays où il vivait, et qui sont toutes encore suivies sans avoir jamais été affaiblies ou changées par des interprètes mahométans, ni par des décrets nouveaux.
Mahomet eut pour ennemis non seulement les poëtes de la Mecque, mais surtout les docteurs. Ceux-ci soulevèrent contre lui les magistrats, qui donnèrent décret de prise de corps contre lui, comme dûment atteint et convaincu d’avoir dit qu’il fallait adorer Dieu et non pas les étoiles. Ce fut, comme on sait, la source de sa grandeur. Quand on vit qu’on ne pouvait le perdre, et que ses écrits prenaient faveur, ou débita dans la ville qu’il n’en était pas l’auteur, ou que du moins il se faisait aider dans la composition de ses feuilles, tantôt par un savant juif, tantôt par un savant chrétien ; supposé qu’il y eût alors des savants.
C’est ainsi que parmi nous on a reproché à plus d’un prélat d’avoir fait composer leurs sermons et leurs oraisons funèbres par des moines. Il y avait un père Hercule qui faisait les sermons d’un certain évêque ; et quand on allait à ces sermons, on disait : « Allons entendre les travaux d’Hercule. »
Mahomet répond à cette imputation dans son chapitre XVI, à l’occasion d’une grosse sottise qu’il avait dite en chaire, et qu’on avait vivement relevée. Voici comme il se tire d’affaire :
« Quand tu liras le Koran, adresse-toi à Dieu, afin qu’il te préserve de Satan... il n’a de pouvoir que sur ceux qui l’ont pris pour maître, et qui donnent des compagnons à Dieu.
« Quand je substitue dans le Koran un verset à un autre (et Dieu sait la raison de ces changements), quelques infidèles disent : Tu as forgé ces versets ; mais ils ne savent pas distinguer le vrai d’avec le faux : dites plutôt que l’Esprit saint m’a apporté ces versets de la part de Dieu avec la vérité... D’autres disent plus malignement : Il y a un certain homme qui travaille avec lui à composer le Koran ; mais comment cet homme à qui ils attribuent mes ouvrages pourrait-il m’enseigner, puisqu’il parle une langue étrangère, et que celle dans laquelle le Koran est écrit est l’arabe le plus pur ? »
Celui qu’on prétendait travailler[4] avec Mahomet était un Juif nommé Bensalen ou Bensalon. Il n’est guère vraisemblable qu’un Juif eût aidé Mahomet à écrire contre les Juifs ; mais la chose n’est pas impossible. Nous avons dit depuis que c’était un moine qui travaillait à l’Alcoran avec Mahomet. Les uns le nommaient Bohaïra, les autres Sergius. Il est plaisant que ce moine ait eu un nom latin et un nom arabe.
Quant aux belles disputes théologiques qui se sont élevées entre les musulmans, je ne m’en mêle pas, c’est au muphti à décider.
C’est une grande question si l’Alcoran est éternel ou s’il a été créé ; les musulmans rigides le croient éternel.
On a imprimé à la suite de l’histoire de Chalcondyle le Triomphe de la croix ; et dans ce Triomphe il est dit que l’Alcoran est arien, sabellien, carpocratien, cerdonicien, manichéen, donatiste, origénien, macédonien, ébionite, Mahomet n’était pourtant rien de tout cela ; il était plutôt janséniste, car le fond de sa doctrine est le décret absolu de la prédestination gratuite.
C’était un sublime et hardi charlatan que ce Mahomet, fils d’Abdalla. Il dit dans son dixième chapitre : « Quel autre que Dieu peut avoir composé l’Alcoran ? On crie : C’est Mahomet qui a forgé ce livre. Eh bien ! tâchez d’écrire un chapitre qui lui ressemble, et appelez à votre aide qui vous voudrez. » Au dix-septième il s’écrie : « Louange à celui qui a transporté pendant la nuit son serviteur du sacré temple de la Mecque à celui de Jérusalem ! » C’est un assez beau voyage, mais il n’approche pas de celui qu’il fit cette nuit même de planète en planète, et des belles choses qu’il y vit.
Il prétendait qu’il y avait cinq cents années de chemin d’une planète à une autre, et qu’il fendit la lune en deux. Ses disciples, qui rassemblèrent solennellement des versets de son Koran après sa mort, retranchèrent ce voyage du ciel. Ils craignirent les railleurs et les philosophes. C’était avoir trop de délicatesse. Ils pouvaient s’en fier aux commentateurs, qui auraient bien su expliquer l’itinéraire. Les amis de Mahomet devaient savoir par expérience que le merveilleux est la raison du peuple. Les sages contredisent en secret, et le peuple les fait taire. Mais en retranchant l’itinéraire des planètes, on laissa quelques petits mots sur l’aventure de la lune ; on ne peut pas prendre garde à tout.
Le Koran est une rapsodie sans liaison, sans ordre, sans art ; on dit pourtant que ce livre ennuyeux est un fort beau livre ; je m’en rapporte aux Arabes, qui prétendent qu’il est écrit avec une élégance et une pureté dont personne n’a approché depuis. C’est un poème, ou une espèce de prose rimée, qui contient six mille vers. Il n’y a point de poëte dont la personne et l’ouvrage aient fait une telle fortune. On agita chez les musulmans si l’Alcoran était éternel, ou si Dieu l’avait créé pour le dicter à Mahomet. Les docteurs décidèrent qu’il était éternel ; ils avaient raison, cette éternité est bien plus belle que l’autre opinion. Il faut toujours avec le vulgaire prendre le parti le plus incroyable.
Les moines qui se sont déchaînés contre Mahomet, et qui ont dit tant de sottises sur son compte, ont prétendu qu’il ne savait pas écrire. Mais comment imaginer qu’un homme qui avait été négociant, poëte, législateur et souverain, ne sût pas signer son nom ? Si son livre est mauvais pour notre temps et pour nous, il était fort bon pour ses contemporains, et sa religion encore meilleure. Il faut avouer qu’il retira presque toute l’Asie de l’idolâtrie. Il enseigna l’unité de Dieu ; il déclamait avec force contre ceux qui lui donnent des associés. Chez lui l’usure avec les étrangers est défendue, l’aumône ordonnée. La prière est d’une nécessité absolue ; la résignation aux décrets éternels est le grand mobile de tout. Il était bien difficile qu’une religion si simple et si sage, enseignée par un homme toujours victorieux, ne subjuguât pas une partie de la terre. En effet les musulmans ont fait autant de prosélytes par la parole que par l’épée. Ils ont converti à leur religion les Indiens et jusqu’aux Nègres. Les Turcs même leurs vainqueurs se sont soumis à l’islamisme.
Mahomet laissa dans sa loi beaucoup de choses qu’il trouva établies chez les Arabes : la circoncision, le jeûne, le voyage de la Mecque qui était en usage quatre mille ans avant lui, des ablutions si nécessaires à la santé et à la propreté dans un pays brûlant où le linge était inconnu ; enfin l’idée d’un jugement dernier, que les mages avaient toujours établie, et qui était parvenue jusqu’aux Arabes. Il est dit que comme il annonçait qu’on ressusciterait tout nu, Aishca sa femme trouva la chose immodeste et dangereuse : « Allez, ma bonne, lui dit-il, on n’aura pas alors envie de rire. » Un ange, selon le Koran, doit peser les hommes et les femmes dans une grande balance. Cette idée est encore prise des mages. Il leur a volé aussi leur pont aigu, sur lequel il faut passer après la mort, et leur jannat, où les élus musulmans trouveront des bains, des appartements bien meublés, de bons lits, et des houris avec de grands yeux noirs. Il est vrai aussi qu’il dit que tous ces plaisirs des sens, si nécessaires à tous ceux qui ressusciteront avec des sens, n’approcheront pas du plaisir de la contemplation de l’Être suprême. Il a l’humilité d’avouer dans son Koran que lui-même n’ira point en paradis par son propre mérite, mais par la pure volonté de Dieu. C’est aussi par cette pure volonté divine qu’il ordonne que la cinquième partie des dépouilles sera toujours pour le prophète.
Il n’est pas vrai qu’il exclut du paradis les femmes. Il n’y a pas d’apparence qu’un homme aussi habile ait voulu se brouiller avec cette moitié du genre humain qui conduit l’autre. Abulfeda rapporte qu’une vieille l’importunant un jour, en lui demandant ce qu’il fallait faire pour aller en paradis : « M’amie, lui dit-il, le paradis n’est pas pour les vieilles. » La bonne femme se mit à pleurer, et le prophète, pour la consoler, lui dit : « Il n’y aura point de vieilles, parce qu’elles rajeuniront. » Cette doctrine consolante est confirmée dans le cinquante-quatrième chapitre du Koran.
Il défendit le vin, parce qu’un jour quelques-uns de ses sectateurs arrivèrent à la prière étant ivres. Il permit la pluralité des femmes, se conformant en ce point à l’usage immémorial des Orientaux.
En un mot, ses lois civiles sont bonnes ; son dogme est admirable en ce qu’il a de conforme avec le nôtre ; mais les moyens sont affreux : c’est la fourberie et le meurtre.
On l’excuse sur la fourberie, parce que, dit-on, les Arabes comptaient avant lui cent vingt-quatre mille prophètes, et qu’il n’y avait pas grand mal qu’il en parût un de plus. Les hommes, ajoute-t-on, ont besoin d’être trompés. Mais comment justifier un homme qui vous dit : « Crois que j’ai parlé à l’ange Gabriel, ou paye-moi un tribut ? »
Combien est préférable un Confucius, le premier des mortels qui n’ont point eu de révélation ! il n’emploie que la raison, et non le mensonge et l’épée. Vice-roi d’une grande province, il y fait fleurir la morale et les lois ; disgracié et pauvre , il les enseigne ; il les pratique dans la grandeur et dans l’abaissement ; il rend la vertu aimable ; il a pour disciple le plus ancien et le plus sage des peuples.
Le comte de Boulainvilliers, qui avait du goût pour Mahomet, a beau me vanter les Arabes, il ne peut empêcher que ce ne fût un peuple de brigands ; ils volaient avant Mahomet en adorant les étoiles ; ils volaient sous Mahomet au nom de Dieu. Ils avaient, dit-on, la simplicité des temps héroïques ; mais qu’est-ce que les siècles héroïques ? c’était le temps où l’on s’égorgeait pour un puits et pour une citerne, comme on fait aujourd’hui pour une province.
Les premiers musulmans furent animés par Mahomet de la rage de l’enthousiasme. Rien n’est plus terrible qu’un peuple qui. n’ayant rien à perdre, combat à la fois par esprit de rapine et de religion.
Il est vrai qu’il n’y avait pas beaucoup de finesse dans leurs procédés. Le contrat du premier mariage de Mahomet porte qu’attendu que Cadisha est amoureuse de lui, et lui pareillement amoureux d’elle, on a trouvé bon de les conjoindre. Mais y a-t-il tant de simplicité à lui avoir composé une généalogie dans laquelle on le fait descendre d’Adam en droite ligne, comme on en a fait descendre depuis quelques maisons d’Espagne et d’Écosse ? L’Arabie avait son Moréri et son Mercure galant.
Le grand prophète essuya la disgrâce commune à tant de maris ; il n’y a personne après cela qui puisse se plaindre. On connaît le nom de celui qui eut les faveurs de sa seconde femme, la belle Aishca : il s’appelait Assan. Mahomet se comporta avec plus de hauteur que César, qui répudia sa femme, disant qu’il ne fallait pas que la femme de César fût soupçonnée. Le prophète ne voulut pas même soupçonner la sienne ; il fit descendre du ciel un chapitre du Koran pour affirmer que sa femme était fidèle. Ce chapitre était écrit de toute éternité, aussi bien que tous les autres.
On l’admire pour s’être fait, de marchand de chameaux, pontife, législateur, et monarque ; pour avoir soumis l’Arabie, qui ne l’avait jamais été avant lui, pour avoir donné les premières secousses à l’empire romain d’Orient et à celui des Perses. Je l’admire encore pour avoir entretenu la paix dans sa maison parmi ses femmes. Il a changé la face d’une partie de l’Europe, de la moitié de l’Asie, de presque toute l’Afrique, et il s’en est bien peu fallu que sa religion n’ait subjugué l’univers.
À quoi tiennent les révolutions ! un coup de pierre un peu plus fort que celui qu’il reçut dans son premier combat donnait une autre destinée au monde.
Son gendre Ali prétendit que quand il fallut inhumer le prophète, on le trouva dans un état qui n’est pas trop ordinaire aux morts, et que sa veuve Aishca s’écria : « Si j’avais su que Dieu eût fait cette grâce au défunt, j’y serais accourue à l’instant. » On pouvait dire de lui : Decet imperatorem stantem mori.
Jamais la vie d’un homme ne fut écrite dans un plus grand détail que la sienne. Les moindres particularités en étaient sacrées ; on sait le compte et le nom de tout ce qui lui appartenait : neuf épées, trois lances, trois arcs, sept cuirasses, trois boucliers, douze femmes, un coq blanc, sept chevaux, deux mules, quatre chameaux, sans compter la jument Borac sur laquelle il monta au ciel ; mais il ne l’avait que par emprunt, elle appartenait en propre à l’ange Gabriel.
Toutes ses paroles ont été recueillies. Il disait que « la jouissance
des femmes le rendait plus fervent à la prière ». En effet pourquoi ne pas dire benedicite et grâces au lit comme à table ? une
belle femme vaut bien un souper. On prétend encore qu’il était
un grand médecin ; ainsi il ne lui manqua rien pour tromper les
hommes.
- ↑ Questions sur l’Encyclopédie, première partie, 1770. (B.)
- ↑ Voyez l’article Arot et Mahot, (Note de Voltaire.)
- ↑ En comptant l’introduction pour un chapitre. (Note de Voltaire.)
- ↑ Voyez l’Alcoran de Sale, page 223. (Note de Voltaire.)
- ↑ Ce morceau parut en 1748 dans le tome IV des Œuvres de Voltaire, à la suite de sa tragédie de Mahomet. En 1750, il faisait partie du tome IV ou Suite des Mélanges. (B.)