Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Évangile

Éd. Garnier - Tome 19
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ÉVANGILE[1].

C’est une grande question de savoir quels sont les premiers Évangiles. C’est une vérité constante, quoi qu’en dise Abbadie, qu’aucun des premiers Pères de l’Église, inclusivement jusqu’à Irénée, ne cite aucun passage des quatre Évangiles que nous connaissons. Au contraire, les alloges, les théodosiens, rejetèrent constamment l’Évangile de saint Jean, et ils en parlaient toujours

        1. avec mépris, comme l’avance saint Épiphane dans sa trente-quatrième homélie. Nos ennemis remarquent encore que non-seulement les plus anciens Pères ne citent jamais rien de nos Évangiles, mais qu’ils rapportent plusieurs passages qui ne se trouvent que dans les Évangiles apocryphes rejetés du canon.

Saint Clément, par exemple, rapporte que notre Seigneur, ayant été interrogé sur le temps où son royaume aviendrait, répondit : « Ce sera quand deux ne feront qu’un, quand le dehors ressemblera au dedans, et quand il n’y aura ni mâle ni femelle. » Or il faut avouer que ce passage ne se trouve dans aucun de nos Évangiles. Il y a cent exemples qui prouvent cette vérité ; on les peut recueillir dans l’Examen critique de M. Fréret, secrétaire perpétuel de l’Académie des belles-lettres de Paris.

Le savant Fabricius s’est donné la peine de rassembler les anciens Évangiles que le temps a conservés ; celui de Jacques paraît le premier. Il est certain qu’il a encore beaucoup d’autorité dans quelques Églises d’Orient. Il est appelé premier Évangile[2]. Il nous reste la passion et la résurrection, qu’on prétend écrites par Nicodème. Cet Évangile de Nicodème est cité par saint Justin et par Tertullien : c’est là qu’on trouve les noms des accusateurs de notre Sauveur, Annas, Caïphas, Summas, Datam, Gamaliel, Judas, Lévi, Nephthalim : l’attention de rapporter ces noms donne une apparence de candeur à l’ouvrage. Nos adversaires ont conclu que, puisqu’on supposa tant de faux Évangiles reconnus d’abord pour vrais, on peut aussi avoir supposé ceux qui font aujourd’hui l’objet de notre croyance. Ils insistent beaucoup sur la foi des premiers hérétiques qui moururent pour ces Évangiles apocryphes. Il y eut donc, disent-ils, des faussaires, des séducteurs, et des gens séduits, qui moururent pour l’erreur : ce n’est donc pas une preuve de la vérité de notre religion que des martyrs soient morts pour elle ?

Ils ajoutent de plus qu’on ne demanda jamais aux martyrs : Croyez-vous à l’Évangile de Jean, ou à l’Évangile de Jacques ? Les païens ne pouvaient fonder des interrogatoires sur des livres qu’ils ne connaissaient pas : les magistrats punirent quelques chrétiens très-injustement, comme perturbateurs du repos public ; mais ils ne les interrogèrent jamais sur nos quatre Évangiles. Ces livres ne furent un peu connus des Romains que sous Dioclétien ; et ils eurent à peine quelque publicité dans les dernières années de Dioclétien. C’était un crime abominable, irrémissible à un chrétien, de faire voir un Évangile à un Gentil. Cela est si vrai que vous ne rencontrez le mot d’Évangile dans aucun auteur profane.

Les sociniens rigides ne regardent donc nos quatre divins Évangiles que comme des ouvrages clandestins, fabriqués environ un siècle après Jésus-Christ, et cachés soigneusement aux Gentils pendant un autre siècle ; ouvrages, disent-ils, grossièrement écrits par des hommes grossiers, qui ne s’adressèrent longtemps qu’à la populace de leur parti. Nous ne voulons pas répéter ici leurs autres blasphèmes. Cette secte, quoique assez répandue, est aujourd’hui aussi cachée que l’étaient les premiers Évangiles. Il est d’autant plus difficile de les convertir qu’ils ne croient que leur raison. Les autres chrétiens ne combattent contre eux que par la voix sainte de l’Écriture : ainsi il est impossible que les uns et les autres, étant toujours ennemis, puissent jamais se rencontrer[3].

Pour nous, restons toujours inviolablement attachés à nos quatre Évangiles avec l’Église infaillible ; réprouvons les cinquante Évangiles qu’elle a réprouvés ; n’examinons point pourquoi notre Seigneur Jésus-Christ permit qu’on fît cinquante Évangiles faux, cinquante histoires fausses de sa vie, et soumettons-nous à nos pasteurs, qui sont les seuls sur la terre éclairés du Saint-Esprit.

Qu’Abbadie soit tombé dans une erreur grossière en regardant comme authentiques les lettres, si ridiculement supposées, de Pilate à Tibère, et la prétendue proposition de Tibère au sénat de mettre Jésus-Christ au rang des dieux ; si Abbadie est un mauvais critique et un très-mauvais raisonneur, l’Église est-elle moins éclairée ? devons-nous moins la croire ? devons-nous lui être moins soumis ?


  1. Dictionnaire philosophique, édition de 1767. (B.)
  2. Le Protoévangile a été publié en 1552 et a été ainsi nommé par l’éditeur Guillaume Postel, parce qu’il suppléait aux lacunes des anciens exemplaires hébreux de l’évangéliste saint Matthieu. (G. A.)
  3. Fin de l’article en 1767 ; il était signé : Par l’abbé de Tilladet. La fin de l’article fut ajoutée dans les Questions sur l’Encyclopédie, cinquième partie, 1771, où l’auteur avait reproduit l’article. ( B.)


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