Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Églogue

Éd. Garnier - Tome 18
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ÉGLOGUE[1].

Il semble qu’on ne doive rien ajouter à ce que M. le chevalier de Jaucourt et M. Marmontel ont dit de l’Églogue dans le Dictionnaire encyclopédique ; il faut, après les avoir lus, lire Théocrite et Virgile, et ne point faire d’églogues. Elles n’ont été jusqu’à présent parmi nous que des madrigaux amoureux qui auraient beaucoup mieux convenu aux filles d’honneur de la reine mère qu’à des bergers.

L’ingénieux Fontenelle[2], aussi galant que philosophe, qui n’aimait pas les anciens, donne le plus de ridicule qu’il peut au tendre Théocrite, le maître de Virgile ; il lui reproche une églogue qui est entièrement dans le goût rustique ; mais il ne tenait qu’à lui de donner de justes éloges à d’autres églogues qui respirent la passion la plus naïve, exprimée avec toute l’élégance et la molle douceur convenable aux sujets.

Il y en a de comparables à la belle ode de Sapho, traduite dans toutes les langues. Que ne nous donnait-il une idée de la Pharmaceutrée imitée par Virgile, et non égalée peut-être ! On ne pourrait pas en juger par ce morceau que je vais rapporter ; mais c’est une esquisse qui fera connaître la beauté du tableau à ceux dont le goût démêle la force de l’original dans la faiblesse même de la copie.

Reine des nuits, dis[3] quel fut mon amour ;
Comme en mon sein les frissons et la flamme
Se succédaient, me perdaient tour à tour ;
Quels doux transports égarèrent mon âme ;
Comment mes yeux cherchaient en vain le jour ;
Comme j’aimais, et sans songer à plaire !
Je ne pouvais ni parler ni me taire...
Reine des nuits, dis quel fut mon amour.

Mon amant vint. Ô moments délectables !
Il prit mes mains, tu le sais, tu le vis,
Tu fus témoin de ses serments coupables,
De ses baisers, de ceux que je rendis,
Des voluptés dont je fus enivrée.
Moments charmants, passez-vous sans retour ?
Daphnis trahit la foi qu’il m’a jurée.
Reine des cieux, dis quel fut mon amour.

Ce n’est là qu’un échantillon de ce Théocrite dont Fontenelle faisait si peu de cas. Les Anglais, qui nous ont donné des traductions en vers de tous les poëtes anciens, en ont aussi une de Théocrite ; elle est de M. Fawkes : toutes les grâces de l’original s’y retrouvent. Il ne faut pas omettre qu’elle est en vers rimés, ainsi que les traductions anglaises de Virgile et d’Homère. Les vers blancs, dans tout ce qui n’est pas tragédie, ne sont, comme disait Pope[4], que le partage de ceux qui ne peuvent pas rimer.

Je ne sais si, après avoir parlé des églogues qui enchantèrent la Grèce et Rome, il sera bien convenable de citer une églogue allemande, et surtout une églogue dont l’amour n’est pas le principal sujet : elle fut écrite dans une ville qui venait de passer sous une domination étrangère.


Églogue allemande.

HERNAND, DERNIN.

Dernin.

Consolons-nous, Hernand, l’astre de la nature
Va de nos aquilons tempérer la froidure ;
Le zéphyr à nos champs promet quelques beaux jours ;
Nous chanterons aussi nos vins et nos amours.
Nous n’égalerons point la Grèce et l’Ausonie ;
Nous sommes sans printemps, sans fleurs et sans génie ;
Nos voix n’ont jamais eu ces sons harmonieux
Qu’aux pasteurs de Sicile ont accordés les dieux.
Ne pourrons-nous jamais, en lisant leurs ouvrages,
Surmonter l’âpreté de nos climats sauvages ?
Vers ces coteaux du Rhin que nos soins assidus
Ont forcés à s’orner des trésors de Bacchus,
Forçons le dieu des vers, exilé de la Grèce,
À venir de nos chants adoucir la rudesse.
Nous connaissons l’amour, nous connaîtrons les vers.
Orphée était de Thrace ; il brava les hivers ;
Il aimait ; c’est assez : Vénus monta sa lyre.
Il polit son pays ; il eut un doux empire
Sur des cœurs étonnés de céder à ses lois.

Hernand.

On dit qu’il amollit les tigres de ses bois.
Humaniserons-nous les loups qui nous déchirent ?
Depuis qu’aux étrangers les destins nous soumirent,
Depuis que l’esclavage affaissa nos esprits,
Nos chants furent changés en de lugubres cris.
D’un commis odieux l’insolence affamée
Vient ravir la moisson que nous avons semée,
Vient décimer nos fruits, notre lait, nos troupeaux :
C’est pour lui que ma main couronna ces coteaux
Des pampres consolants de l’amant d’Ariane.
Si nous osons nous plaindre, un traitant nous condamne ;
Nous craignons de gémir, nous dévorons nos pleurs.
Ah ! dans la pauvreté, dans l’excès des douleurs,
Le moyen d’imiter Théocrite et Virgile !
Il faut pour un cœur tendre un esprit plus tranquille.

Le rossignol, tremblant dans son obscur séjour,
N’élève point sa voix sous le bec du vautour.
Fuyons, mon cher Dernin, ces malheureuses rives.
Portons nos chalumeaux et nos lyres plaintives
Aux bords de l’Adigo, loin des yeux des tyrans.

Et le reste[5].


  1. Questions sur l’Encyclopédie, cinquième partie, 1771. (B.)
  2. Discours sur la nature de l’églogue.
  3. M. Firmin Didot, dans ses Poésies et Traductions, 1822, in-12, page 366, observe que « ceux qui ont traduit : Dis, astre des nuits, d’où naquit mon amour, se sont trompés, puisque c’est Simèthe qui raconte à la lune l’histoire de son amour ». M. Firmin Didot a mis : Vois quel fut mon amour. (B.)
  4. Voyez dans les Articles extraits de la Gazette littéraire (Mélanges, année 1764) celui du 2 mai ; et la dédicace de la tragédie d’Irène (tome VI du Théâtre).
  5. Après ces mots, dans les Questions sur l’Encyclopédie, on lisait :

    « Voici une chose plus extraordinaire, une églogue française sans madrigaux et sans galanterie.

    Églogue à M. de Saint-Lambert, auteur du poëme des Quatre Saisons. »

    Puis, sous ce titre, Voltaire donnait son Épître à Saint-Lambert, imprimée tome X. (B.)


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