Dictionnaire national et anecdotique par M. De l’Épithète/Section complète - V

V.

VAISSELLE D’ARGENT : indispensable dans l’ancien régime, même pour un commis, même pour un procureur, même pour M. Samson, sur la table duquel on l’étaloit avec profusion dans ces fameux soupers où tant d’honorables chevaliers de St. Louis assistoient philosophiquement & en pressantant l’opinion actuelle du pouvoir constituant.

Dans le nouveau régime, la vaisselle d’argent est impatriotique. Les seuls aristocrates, qui se rient de nos maux & de la plaie profonde faite par le déficit, osent encore en faire étalage. Aussi les convices patriotes aimeroient mieux prendre vingt soupers chez M. Samson, que d’approcher de la table de ces pestes publiques.

Tout citoyen loyal a imité le monarque, il a porté ses plats à la monnoie. Ainsi les énormes sur-touts vont devenir de beaux écus sur lesquels on lira, Louis XVI, roi des François. Les gens qui s’impatientent de n’en point voir, parce qu’il y a quatre mois qu’on a fait les envois, ces gens, dis-je, ne raisonnent pas, ou ignorent que ce n’est pas à Paris, où la main-d’œuvre coûte trop, que ces écus se frappent, mais dans nos villes frontieres, telles que Limoges & autres ; qu’il faut du temps pour l’aller & le revenir ; qu’enfin on ne peut pas tarder à les voir arriver. Alors dans cette taverne si célebre où l’on vend l’argent au poids de l’or, les brocs reprendront la place des sacs ; par-tout, tout reprendra, se vivifiera par cette circulation de beaux écus. Il est vrai qu’il y a une forte demande pour l’Angleterre, qui nous envoie en échange une longue liste de mots constitutionnels ; mais nos nouvelles municipalités, qui tiendront plus à l’argent qu’aux mots, auront le plus grand soin que la demande ne soit point expédiée.

VETO : encore un mot latin qui ne vaut gueres mieux que celui de déficit. Un journaliste a observé que nous n’étions pas heureux en affaire avec les Latins lorsque nous leur empruntions , qu’un de ces trois mots unigenitus, déficit & veto eût été seul capable de bouleverser la France. L’unigenitus est mort il y a long-temps, & nous en rions. Il n’en est pas de même du déficit, il pourra nous jouer quelque mauvais tour. Quant au veto, graces aux patriotes qui lui ont fait tête, il n’est entré en France que sous condition.

Veto signifie je défends ; je m’oppose à ce que telle ou telle chose ait lieu. C’est par ce mot terrible de veto que chez les Romains, les tribuns, qui étoient des magistrats chargés de défendre les intérêts du peuple, infirmoient sans retour les décrets aristocratiques du sénat.

En Pologne, un simple gentilhomme, en prononçant ce veto, enchaîne les volontés unanimes de la nation. S’il le prononce dans une diete, il faut qu’elle se sépare ; il est vrai que souvent on reconduit à coups de plat de sabre l’homme au veto. Mais cette petite vengeance ne remédie pas au mal.

Lorsqu’il fut question chez nous de la sanction royale, MM. Mounier, Lalli de Tolendal, d’Esprémenil, de Virieux, Malouet, & une partie des lésés de la nuit du 4 août, voterent pour que le veto absolu fût accordé à Sa Majesté. Il n’y auroit eu aucun inconvénient, si toutes les Majestés qui doivent succéder à Louis XVI eussent dû lui ressembler ; mais comme il y a grandement lieu de présumer le contraire, les hommes désintéressés & amis de la liberté se sont opposés de toutes leurs force à l’avis des préopinans. Ils ont soutenu qu’accorder le veto absolu au pouvoir exécutif, c’étoit lui livrer le pouvoir législatif, que c’étoit ramener les abus d’autorité qu’on avoit voulu bannir ; que par le veto absolu le despotisme se relevoit avec de nouvelles forces & des matériaux suffisans pour réédifier la Bastille & la remplir ; que la responsabilité des ministres n’étoit plus qu’une épigramme & la constitution un vain protocole. L’avis des hommes libres & prévalu, & la liberté naissante, à la veille d’être étouffée dans son berceau, a dû son salut à ces généreux défenseurs. Il a été décrété que Sa Majesté auroit le veto suspensif ; c’est-à-dire, que dans le cas où elle refuseroit sa sanction à tel ou tel article, ce refus n’auroit de force que jusqu’à la troisieme législature, par laquelle l’article frappé du veto seroit soumis au jugement de la nation pour, par elle, être admis ou rejetté.

VICE-PRÉSIDENT : officier de district qui y préside en l’absence du président. Il en est le successeur présomptif ; on l’appelle quelquefois sous-président. On parvient à cette dignité quand on a montré du talent dans le commissariat.

VOYAGER : dans l’ancien régime on faisoit voyager les jeunes seigneurs pour les former ; les voyages faisoient partie de leur éducation. Un mentor les promenoit dans toutes les cours de l’Europe, où ces jeunes messieurs persistoient & étoient persifflés.

Dans le nouveau régime ce sont les peres qui voyagent au lieu des enfans ; loin d’aller s’instruire dans les cours étrangeres, ce sont eux qui vont instruire les cours. Ces missionnaire politiques qui n’aiment point les révolutions, y causent cependant quelqu’espèce de révolution. C’est à leur persuasion que la cour d’Espagne s’est réconciliée avec son inquisition pour frapper d’anathême nos écrits patriotiques qui feroient ressouvenir aux Arragonnois qu’ils disent à leurs rois : nosostros que somos mas que vos, nous qui sommes plus que vous. À Turin, c’est à l’instigation des illustres cosmopolites qu’il a été défendu aux porteurs du Mont-Cénis de lier aucune conversation avec les portés qui venoient de Lanebourg[1].

  1. Les porteurs du Mont-Cénis sont des hommes vigoureux qui transportent les voyageurs sur leurs épaules d’un côté du Mont-Cénis à l’autre. Lanebourg est le village ou bourg situé au pied des Alpes du côté de la France.