Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Sucre

Henri Plon (p. 638).
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Sucre. Les Grecs ont, à la vérité, connu le sucre, mais seulement comme un article rare et précieux, et Théophraste, le premier, en fait mention. On l’appelait le sel indien. Cependant les Chinois connaissaient déjà l’art de le raffiner. De la Chine, le sucre fut porté vers l’Inde occidentale, où il reçut le nom qu’il porte encore aujourd’hui, succar. Parmi les peuples européens du moyen âge, ce furent les Portugais qui connurent les premiers le sucre dans les ports de l’Inde.

Les Indiens racontaient des merveilles de la vertu du sucre ; ils cherchèrent à induire les Portugais en erreur sur son origine. Mille contes fabuleux avaient couru à ce propos en Europe. Les savants l’appelaient miel de l’Orient. Cependant on objectait qu’on le découvrait dans le miel ordinaire. Les théoriciens répondaient qu’il ne fallait pas s’en laisser imposer par les praticiens, et que ce miel était une espèce de manne qui tombe du ciel en Inde. Il n’y avait rien à opposer à cet argument : la blancheur, la pureté, la suavité extraordinaire de ce remarquable produit, semblaient donner de l’appui à cette assertion.

La chimie s’occupa de l’analyse de la nouvelle manne, et conclut que c’était la résine qui s’écoule d’un tronc d’arbre à la manière de la résine du cerisier. C’est ainsi qu’on extravaguait sur l’origine du sucre ; le vulgaire ne manquait pas d’y ajouter du romanesque ; il regardait le sucre comme un ouvrage des sorcières indiennes, qui le tiraient des cornes de la lune pendant son premier quartier. Enfin Marco Polo vint étonner le monde européen lorsque, de retour de ses voyages, il entra dans Venise la canne à sucre en main, et expliqua le secret de préparer le sucre.

La culture de la canne à sucre fut introduite en Arabie ; de là, comme le café, on la transplanta dans les régions méridionales, en Égypte, en Sicile, à Madère, à Hispaniola, au Brésil, etc.