Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Souterrains

Henri Plon (p. 628-629).
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Souterrains (démons), démons dont parle Psellus, qui, du vent de leur haleine, rendent aux hommes le visage bouffi, de manière qu’ils sont méconnaissables.

« En Norvège, comme dans d’autres pays, on croit à des génies qui habitent sous terre. Voici, dit un écrivain anglais, ce qui me fut raconté très-sérieusement sur ces êtres surnaturels par la maîtresse de la maison où je logeais : « J’avais, me dit-elle, un oncle que l’on destinait à la profession des armes. Un jour, dans sa jeunesse, allant aux champs avec son père, il laissa tomber un couteau avant de sortir du logis, et, malgré les recherches les plus exactes, il ne put le retrouver. Peu de temps après, il partit pour les pays étrangers. Au bout de quinze ans, il revint en Norvège. Un soir qu’il se rapprochait de chez lui, se trouvant encore à dix lieues de la maison de son père, il se sentit fatigué, et entra dans une cabane peu éloignée du chemin, qui, en cet endroit, traversait une forêt. Il n’y avait dans l’habitation qu’une vieille femme, qui l’accueillit bien ; il était assis depuis peu d’instants lorsqu’il aperçut sur la table un couteau absolument semblable à celui qu’il avait perdu quinze ans auparavant. Il raconta le fait à la vieille et lui dit : « Si cette maison n’était pas aussi éloignée de la mienne, je croirais que ce couteau est le mien. — En effet, repartit la vieille, c’est lui : lorsque vous l’avez laissé tomber, il coupa la jambe de ma fille, qui, dans ce moment, sous la forme d’une taupe, courait sous la terre ; je vous empêchai alors de le retrouver en le changeant en un ver de terre que ma fille emporta. »

» Mon oncle s’aperçut qu’il était dans la compagnie d’un être souterrain qui, dans cette occasion, avait pris la figure humaine. Quand il voulut partir pour continuer sa route, la petite femme insista pour qu’il restât jusqu’au lendemain matin, l’assurant que ce retard ne lui ferait pas perdre une minute, parce que, s’il voulait lui promettre sa vache rousse avec les belles clochettes qu’elle portait à son collier, elle le transporterait chez lui sans qu’il bougeât de place. « Mais, reprit mon oncle, voilà quinze ans que je suis absent, et j’ignore s’il y a chez nous des vaches. — Il y en a sept, mon digne monsieur. — Je ne puis rien vous promettre, puisque s’il y a des vaches, elles ne m’appartiennent pas ; cependant je consens à passer la nuit ici. » Le lendemain, pendant qu’il déjeunait avec la vieille, on entendit le tintement d’une clochette. « Oh ! s’écria mon oncle en se levant de surprise, cette clochette me rappelle les jours de mon enfance ; c’est celle de la vache rousse dont vous parliez hier. — C’est fort possible, car je lui ai ordonné de venir ici ce matin. »

» Le déjeuner fini, mon oncle dit adieu à la vieille ; et en sortant de la cabane, il se trouva tout près du jardin de son père.

» On dit que ces êtres surnaturels n’ont pas le pouvoir de transformer un animal en un autre ; ils peuvent seulement diminuer la taille des animaux, afin de les emporter plus facilement sous terre. Je me contenterai de raconter à ce sujet une histoire à laquelle on ajoute généralement foi en Norvège, et qui même y a donné naissance au proverbe : « Souvenez-vous du bétail de l’évêque de Dronlheim. » On l’emploie souvent pour rappeler qu’il faut veiller attentivement sur ce qu’on possède. En voici l’origine.

» Il y a bien longtemps qu’un jour d’été un évêque de Drontheim envoya ses bestiaux pâturer dans la montagne ; c’étaient les plus beaux de toute la Norvège. À leur départ, le prélat recommanda expressément aux gardiens d’avoir constamment l’œil sur les animaux et de ne pas les perdre de vue, attendu que beaucoup d’êtres souterrains habitaient dans l’intérieur des montagnes de Rœraas. L’injonction de ne pas les perdre de vue se rapportait à la croyance qu’aussi longtemps que les yeux d’un homme sont fixés sur un animal les génies souterrains n’ont aucun pouvoir sur lui. Un jour, pendant que les bestiaux paissaient dans les montagnes, et que les pasteurs, assis dans différents endroits, n’en détournaient pas leurs regards, un élan d’une taille extraordinaire passa. Aussitôt les yeux des trois pasteurs se portèrent du bétail sur l’élan, et se tinrent un moment fixés sur lui ; quand ils retombèrent sur le troupeau, ils aperçurent les bestiaux réduits à la dimension de petites souris. Ces animaux, au nombre de trois cents, descendaient la montagne en courant, et avant que leurs gardiens pussent les atteindre, ils les virent tous entrer par une petite fente dans la terre, où ils disparurent. Ainsi, l’évêque de Drontheim perdit son bétail. »