Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Songes

Henri Plon (p. 618-619).

Songes. Le cerveau est le siège de la pensée, du mouvement et du sentiment. Si le cerveau n’est pas troublé par une trop grande abondance de vapeurs crues, si le travail ne lui a pas ôté toutes ses forces, il engendre dans le sommeil des songes, excités ou par les images dont il s’est vivement frappé durant la veille, ou par des impressions toutes nouvelles, que produisent les affections naturelles ou accidentelles des nerfs ou la nature du tempérament. C’est aussi limpide que ce qu’on a lu sur le somnambulisme. Les songes naturels viennent des émotions de la journée et du tempérament. Les personnes d’un tempérament sanguin songent les festins, les danses, les divertissements, les plaisirs, les jardins et les fleurs. Les tempéraments bilieux songent les disputes, les querelles, les combats, les incendies, les couleurs jaunes, etc. Les mélancoliques songent l’obscurité, les ténèbres, la fumée, les promenades nocturnes, les spectres et les choses tristes. Les tempéraments pituiteux ou flegmatiques songent la mer, les rivières, les bains, les navigations, les naufrages, les fardeaux pesants, etc. Les tempéraments mêlés, comme les sanguins-mélancoliques, les sanguins-flegmatiques, les bilieux-mélancoliques, etc., ont des songes qui tiennent des deux tempéraments : ainsi le dit Peucer.

Les anciens attachaient beaucoup d’importance aux rêves ; et l’antre de Trophonius était célèbre pour cette sorte de divination. Pausanias nous a laissé, d’après sa propre expérience, la description des cérémonies qui s’y observaient. « Le chercheur passait d’abord plusieurs jours dans le temple de la bonne Fortune. Là il faisait ses expiations, observant d’aller deux fois par jour se laver. Quand les prêtres le déclaraient purifié, il immolait au dieu des victimes ; cette cérémonie finissait ordinairement par le sacrifice d’un bélier noir. Alors le curieux était frotté d’huile par deux enfants et conduit à la source du fleuve ; on lui présentait là une coupe d’eau du Léthé, qui bannissait de son esprit toute idée profane, et une coupe d’eau de Mnémosyne, qui disposait sa mémoire à conserver le souvenir de ce qui allait se passer. Les prêtres découvraient ensuite la statue de Trophonius, devant laquelle il fallait s’incliner et prier ; enfin, couvert d’une tunique de lin et le front ceint de bandelettes, on allait à l’oracle. Il était placé sur une montagne, au milieu d’une enceinte de pierres qui cachait une profonde caverne, où l’on ne pouvait descendre que par une étroite ouverture. Quand, après beaucoup d’efforts et à l’aide de quelques échelles, on avait eu le bonheur de descendre par là sans se rompre le cou, il fallait passer encore de la même manière dans une seconde caverne, très-petite et très-obscure. Là on se couchait à terre, et on n’oubliait pas de prendre dans ses mains une espèce de pâte faite avec de la farine, du lait et du miel. On présentait les pieds à un trou qui était au milieu de la caverne : au même instant, on se sentait rapidement emporté dans l’antre ; on s’y trouvait couché sur des peaux de victimes récemment sacrifiées, enduites de certaines drogues dont les agents du dieu connaissaient seuls la vertu ; on ne tardait pas à s’endormir profondément ; et c’était alors qu’on avait d’admirables visions et que les temps à venir découvraient tous leurs secrets. »

Hippocrate dit que, pour se soustraire à la malignité des songes, quand on voit en rêvant pâlir les étoiles, on doit courir en rond ; quand on voit pâlir la lune, on doit courir en long ; quand on voit pâlir le soleil, on doit courir tant en long qu’en rond… On rêve feu et flammes quand on a une bile jaune ; on rêve fumée et ténèbres quand on a une bile noire ; on rêve eau et humidité quand on a des glaires et des pituites, à ce que dit Galien. C’est le sentiment de Peucer. Songer à la mort, annonce mariage, selon Artémidore ; songer des fleurs, prospérité ; songer des trésors, peines et soucis ; songer qu’on devient aveugle, perte d’enfants… Ces secrets peuvent donner une idée de l’Onéirocritique d’Artémidore, ou explication des rêves. Songer des bonbons et des crèmes, dit un autre savant, annonce des chagrins et des amertumes ; songer des pleurs, annonce de la joie ; songer des laitues, annonce une maladie ; songer or et richesses, annonce la misère… Il y a eu des hommes assez superstitieux pour faire leur testament parce qu’ils avaient vu un médecin en songe. Ils croyaient que c’était un présage de mort.