Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Présages

Henri Plon (p. 557-558).
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Présages. Cette faiblesse, qui consiste à regarder comme des indices de l’avenir les événements les plus simples et les plus naturels, est l’une des branches les plus considérables de la superstition. Il est à remarquer qu’on distinguait autrefois les présages des augures, en ce que ceux-ci s’entendaient des augures recherchés ou interprétés selon les règles de l’art augurai, et que les présages qui s’offraient fortuitement étaient interprétés par chaque particulier d’une manière plus vague et plus arbitraire. De nos jours on regarde comme d’un très-mauvais augure de déchirer trois fois ses manchettes, de trouver sur une table des couteaux en croix, d’y voir des salières renversées, etc. Quand nous rencontrons en chemin quelqu’un qui nous demande où nous allons, il faut, selon les enseignements superstitieux, retourner sur nos pas, de peur que mal ne nous arrive. Si une personne à jeun raconte un mauvais songe à une personne qui ait déjeuné, le songe sera funeste à la première. Il sera funeste à la seconde, si elle est à jeun, et que la première ait déjeuné. Il sera funeste à toutes les deux, si toutes les deux sont à jeun. Il serait sans conséquence si toutes les deux avait l’estomac garni… Malheureux généralement qui rencontre le matin, ou un lièvre, ou un serpent, ou un lézard, ou un cerf, ou un chevreuil, ou un sanglier ! Heureux qui rencontre un loup, une cigale, une chèvre, un crapaud ! Voy. Araignée, Chasse, Pie, Hibou, etc., etc., etc. Cécilia, femme de Métellus, consultait les dieux sur l’établissement de sa nièce, qui était nubile. Cette jeune fille, lasse de se tenir debout devant l’autel sans recevoir de réponse, pria sa tante de lui prêter la moitié de son siège. « De bon cœur, lui dit Cécilia, je vous cède ma place tout entière. » Sa bonté lui inspira ces mots, qui furent pourtant, dit Valère-Maxime, un présage de ce qui devait arriver ; car Cécilia mourut quelque temps après, et Métellus épousa sa nièce. Lorsque Paul-Émile faisait la guère au roi Persée, il lui arriva quelque chose de remarquable. Un jour, rentrant à sa maison, il embrassa, selon sa coutume, la plus jeune de ses filles, nommée Tertia, et la voyant plus triste qu’à l’ordinaire, il lui demanda le sujet de son chagrin. Cette petite fille lui répondit que Persée était mort (un petit chien que l’enfant nommait ainsi venait de mourir). Paul saisit le présage ; et en effet, peu de temps après, il vainquit le roi Persée, et entra triomphant dans Rome[1].

Un peu avant l’invasion des Espagnols au Mexique, on prit au lac de Mexico un oiseau de la forme d’une grue, qu’on porta à l’empereur Montézuma, comme une chose prodigieuse » Cet oiseau, dit le conte, avait au haut de la tête une espèce de miroir où Montézuma vit les cieux parsemés d’étoiles, de quoi il s’étonna grandement. Puis, levant les yeux au ciel, et n’y voyant plus d’étoiles, il regarda une seconde fois dans le miroir, et aperçut un peuple qui venait de l’Orient, armé, combattant et tuant. Ses devins étant venus pour lui expliquer ce présage, l’oiseau disparut, les laissant en grand trouble. « C’était, à mon avis, dit Delancre, son mauvais démon qui venait lui annoncer sa fin, laquelle lui arriva bientôt. » Dans le royaume de Loango, en Afrique, on regarde comme le présage le plus funeste pour le roi que quelqu’un le voie boire et manger : ainsi il est absolument seul et sans domestiques quand il prend ses repas. Les voyageurs, en parlant de cette superstition, rapportent un trait barbare d’un roi de Loango : Un de ses fils, âgé de huit ou neuf ans, étant entré imprudemment dans la salle où il mangeait, et dans le moment qu’il buvait, il se leva de table, appela le grand prêtre, qui saisit cet enfant, le fit égorger, et frotta de son sang les bras du père, pour détourner les malheurs dont ce présage semblait le menacer. Un autre roi de Loango fit assommer un chien qu’il aimait beaucoup, et qui, l’ayant un jour suivi, avait assisté à son dîner<ref>Saint-Foix, Essais historiques.<ref>.

Les hurlements des bêtes sauvages, les cris des cerfs et des singes sont des présages sinistres pour les Siamois. S’ils rencontrent un serpent qui leur barre le chemin, c’est pour eux une raison suffisante de s’en retourner sur leurs pas, persuadés que l’affaire pour laquelle ils sont sortis ne peut pas réussir. La chute de quelque meuble que le hasard renverse est aussi d’un très-mauvais augure. Que le tonnerre vienne à tomber, par un effet naturel et commun, voilà de quoi gâter la meilleure affaire. Plusieurs poussent encore plus loin la superstition et l’extravagance : dans une circonstance critique et embarrassante, ils prendront pour règle de leur conduite les premières paroles qui échapperont au hasard à un passant, et qu’ils interpréteront à leur manière. Dans le royaume de Bénin, en Afrique, on regarde comme un augure très-favorable qu’une femme accouche de deux enfants jumeaux : le roi ne manque pas d’être aussitôt informé de cette importante nouvelle, et l’on célèbre par des concerts et des festins un événement si heureux. Le même présage est regardé comme très-sinistre dans le village d’Arebo, quoiqu’il soit situé dans le même royaume de Bénin.

Un serpent s’était entortillé autour d’une clef à la porte d’une maison, et les devins annonçaient que c’était un présage. « Je ne le crois pas, dit un philosophe, mais c’en pourrait bien être un si la clef s’était entortillée autour du serpent. »

  1. Valère-Maxime.