Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Philtre

Henri Plon (p. 527-528).
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Philtre, breuvage ou drogue dont l’effet prétendu est de donner l’amour. Les anciens, qui en connaissaient l’usage, invoquaient dans la confection des philtres les divinités infernales. Il y entrait différents animaux, herbes ou matières, tels que le poisson appelé remore, certains os de grenouilles, la pierre astroïte et surtout l’hippomane. Delrio, qui met les philtres au rang des maléfices, ajoute qu’on s’est aussi servi pour les composer de rognures d’ongles, de limailles de métaux, de reptiles, d’intestins de poissons et d’oiseaux, et qu’on y a mêlé quelquefois des fragments d’ornements d’église.

Les philtres s’expliquent, comme les poisons, par la pharmacie. L’hippomane est le plus fameux de tous les philtres ; c’est un morceau de chair noirâtre et de forme ronde, de la grosseur d’une figue sèche, que le poulain apporte quelquefois sur le front en naissant. Suivant les livres de secrets magiques, ce mystérieux morceau de chair fait naître une passion ardente, quand, étant mis en poudre, il est pris avec le sang de celui qui veut se faire aimer. Jean-Baptiste Porta détaille au long les surprenantes propriétés de l’hippomane ; il est fâcheux qu’on n’ait jamais pu le trouver tel qu’il le décrit, ni au front du poulain naissant, ni ailleurs. Voy. Hippomane.

Les philtres sont en grand nombre et plus ridicules les uns que les autres. Les anciens les connaissaient autant que nous, et chez eux on rejetait sur les charmes magiques les causes d’une passion violente, un amour disproportionné, le rapprochement de deux cœurs entre qui la fortune avait mis une barrière, ou que les parents ne voulaient point unir.

Il y a de certains toniques qui enflamment les intestins, causent la démence ou la mort et inspirent une ardeur qu’on a prise pour de l’amour. Telles sont les mouches cantharides avalées dans un breuvage. Un Lyonnais, voulant se faire aimer de sa femme qui le repoussait, lui fit avaler quatre de ces insectes pulvérisés dans un verre de vin du Rhône ; il s’attendait à un succès, il fut veuf le lendemain. À ces moyens violents on a donné le nom de philtres.

Rien n’est plus curieux, dit un contemporain, que la superstition qui en Écosse préside aux moyens ; employés pour faire naître l’amour ou vaincre la résistance de l’objet aimé. Sir John Colquhoun avait épousé depuis peu de mois lady Lilia Graham, fille aînée de Jean, quatrième comte de Montrose, lorsque lady Catherine, sa belle-sœur, vint passer quelque temps chez lui. Bientôt il en devint épris, et, pour vaincre l’indifférence qu’elle lui témoignait, il eut recours à un nécromancien habile, qui composa un bouquet formé de diamants, de rubis et de saphirs montés en or, et le doua de la propriété de livrer a la personne qui le donnait le corps et l’âme de celle qui le recevait. Il paraît que sir John fit un usage immédiat de ce talisman. Les chroniques de cette époque disent qu’il partit avec lady Catherine pour Londres près qu’il eut criminellement abandonné son épouse, et qu’il fut obligé d’y rester caché pour échapper à la sentence de mort qui avait été prononcée contre lui dans sa patrie.

Mais on comprend très-bien l’effet sur une femme mondaine et vaniteuse d’un philtre composé de riches diamants.