Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Pacte

Henri Plon (p. 513-515).
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Pacte. Il y a plusieurs manières de faire pacte avec le diable. Les gens qui donnent dans les croyances superstitieuses pensent le faire venir en lisant le Grimoire à l’endroit des évocations, en récitant les formules de conjuration rapportées dans ce dictionnaire, ou bien en saignant une poule noire dans un grand chemin croisé, et l’enterrant avec des paroles magiques. Quand le diable veut bien se montrer, on fait alors le marché, que l’on signe de son sang. Au reste, on dit l’ange des ténèbres accommodant, sauf la condition accoutumée de se donner à lui.

Le comte de Gabalis, qui ôte aux démons leur antique pouvoir, prétend que ces pactes se font avec les gnomes, qui achètent l’âme des hommes pour les trésors qu’ils donnent largement ; en cela, cependant, conseillés par les hôtes du sombre empire.

Un pacte, dit Bergier, est une convention, expresse ou tacite, faite avec le démon, dans l’espérance d’obtenir par son entremise des choses qui passent les forces de la nature. Un pacte peut donc être exprès et formel, ou tacite et équivalent. Il est censé exprès et formel :^lorsque par soi-même on invoque expressément le démon et que l’on demande son secours, soit que l’on voie réellement cet esprit de ténèbres, soit que l’on croie le voir ; 2° quand on l’invoque par le ministère de ceux que l’on croit être en relation et en commerce avec lui ; 3° quand on fait quelque chose dont on attend l’effet de lui. Le pacte est seulement tacite ou équivalent, lorsque l’on se borne à faire une chose de laquelle on espère un effet qu’elle ne peut produire naturellement, ni surnaturellement et par l’opération de Dieu, parce qu’alors on ne peut espérer cet effet que par l’intervention du démon. Ceux, par exemple, qui prétendent guérir les maladies par des paroles doivent comprendre que les paroles n’ont pas naturellement cette vertu. Dieu n’y a pas attaché non plus cette efficacité. Si donc elles produisaient cet effet, ce ne pourrait être que par l’opération de l’esprit infernal. De là, les théologiens concluent que non-seulement toute espèce de magie, mais encore toute espèce de superstition, renferme un pacte au moins tacite ou équivalent avec le démon, puisque aucune pratique superstitieuse ne peut rien produire, à moins qu’il ne s’en mêle. C’est le sentiment de saint Augustin, de saint Thomas et de tous ceux qui ont traité cette matière[1].

Donnons ici une pièce curieuse des grimoires. C’est ce qu’ils appellent le « Sanctum regnum de la Clavicule, ou la véritable manière de faire les pactes ; avec les noms, puissances et talents de tous les grands esprits supérieurs, comme aussi la manière de les faire paraître par la force de la grande appellation du chapitre des pactes de la grande Clavicule, qui les force d’obéir à quelque opération que l’on souhaite ».

« Le véritable sanctum regnum de la grande Clavicule, autrement dit les pacta conventa dœmoniorum, dont on parle depuis si longtemps, sont une chose fort nécessaire à établir ici pour l’intelligence de ceux qui, voulant forcer les esprits, n’ont point la qualité requise pour composer la verge foudroyante et le cercle cabalistique. Ils ne


peuvent venir à bout de forcer aucun esprit de paraître, s’ils n’exécutent de point en point tout ce qui est décrit ci-après touchant la manière de faire des pactes avec quelque esprit que ce puisse être, soit pour avoir des trésors, soit pour découvrir les secrets les plus cachés, soit pour faire travailler un esprit pendant la nuit à son ouvrage, ou pour faire tomber une grêle ou la tempête partout où l’on souhaite ; soit pour se rendre invisible, pour se faire transporter partout où l’on veut, pour ouvrir toutes les serrures, voir tout ce qui se passe dans les maisons et apprendre tous les tours et finesses des bergers ; soit pour acquérir la main de gloire et pour connaître les qualités et les vertus des métaux et des minéraux, des végétaux et de tous les animaux purs et impurs ; pour faire, en un mot, des choses si merveilleuses, qu’il n’y a aucun homme qui n’en soit dans la dernière surprise. C’est par la grande Clavicule de Salomon que l’on a découvert la véritable manière de faire les pactes ; il s’en est servi lui-même pour acquérir de grandes richesses, et pour connaître les plus impénétrables secrets de la nature.

« Nous commencerons par décrire les noms des principaux esprits avec leur puissance et pouvoir, et ensuite nous expliquerons les pacta dœmoniorum, ou la véritable manière de faire les pactes avec quelque esprit que ce soit. Voici les noms des principaux :

» Lucifer, empereur. — Belzébut, prince. — Astarot, grand-duc.

» Ensuite viennent les esprits supérieurs qui sont subordonnés aux trois nommés ci-devant :

» Lucifuge, premier ministre. — Satanachia, grand général. — Fleurety, lieutenant général. — Nebiros, maréchal de camp. — Agaliarept, grand sénéchal. — Sargatanas, brigadier chef.

» Les six grands esprits que je viens de nommer ci-devant dirigent, par leur pouvoir, toute la puissance infernale qui est donnée aux autres esprits. Ils ont à leur service dix-huit autres esprits qui leur sont subordonnés, savoir :

» Baël, Agarès, Marbas, Pruflas, Aamon, Barbatos, Buer, Gusoyn, Botis, Bathim, Pursan, Abigar, Loray, Valafar, Foray, Ayperos, Naberus, Glassyalabolas.

» Après vous avoir indiqué les noms des dixhuit esprits ci-devant, qui sont inférieurs aux six premiers, il est bon de vous prévenir de ce qui suit, savoir :

» Que Lucifuge commande sur les trois premiers, qui se nomment Baël, Agarès et Marbas ; Satanachia sur Pruflas, Aamon et Barbatos ; Agaliarept sur Buer, Gusoyn et Botis ; Fleurety sur Bathim, Pursan et Abigar ; Sargatanas sur Loray, Valafar et Foray ; Nebiros sur Ayperos, Naberus et Glassyalabolas.

» Et, quoiqu’il y ait encore des millions d’esprits qui sont tous subordonnés à ceux-là, il est très-inutile de les nommer, à cause que l’on ne s’en sert que quand il plaît aux esprits supérieurs de les faire travailler à leur place, parce qu’ils se servent de tous ces esprits inférieurs comme s’ils étaient leurs esclaves. Ainsi, en faisant le pacte avec un des six principaux dont vous avez besoin, il n’importe quel esprit vous serve ; néanmoins demandez toujours à l’esprit avec lequel vous faites votre pacte que ce soit un des trois principaux qui lui sont subordonnées.

» Voici précisément les puissances, sciences, arts et talents des esprits susnommés, afin que celui qui veut faire un pacte puisse trouver dans chacun des talents des six esprits supérieurs ce dont il aura besoin.

» Le premier est le grand Lucifuge Rofocale, premier ministre infernal ; il a la puissance que Lucifer lui a donnée sur toutes les richesses et sur tous les trésors du monde.

» Le second est Satanachia, grand général ; il a la puissance de soumettre toutes les femmes et commande la grande légion des esprits.

» Agaliarept, aussi général, a la puissance de découvrir les secrets les plus cachés dans toutes les cours et dans tous les cabinets du monde ; il dévoile les plus grands mystères ; il commande la seconde légion des esprits.

» Fleurety, lieutenant général, a la puissance de faire tel ouvrage que l’on souhaite pendant la nuit ; il fait aussi tomber la grêle partout où il veut. Il commande un corps très-considérable d’esprits.

» Sargatanas, brigadier, a la puissance de vous rendre invisible, de vous transporter partout, d’ouvrir toutes les serrures, de vous faire voir tout ce qui se passe dans les maisons, de vous apprendre tous les tours et finesses des bergers ; il commande plusieurs brigades d’esprits.

» Nebiros, maréchal de camp et inspecteur général, a la puissance de donner du mal à qui il veut ; il fait trouver la main de gloire, il enseigne toutes les qualités des métaux, des minéraux, des végétaux et de tous les animaux purs et impurs ; c’est lui qui a aussi l’art de prédire l’avenir, étant un des plus grands nécromanciens de tous les esprits infernaux : il va partout ; il a inspection sur toutes les malices infernales.

» Quand vous voudrez faire votre pacte avec un des principaux esprits que je viens de nommer, l’avant-veille du pacte, vous irez couper, avec un couteau neuf qui n’ait jamais servi, une baguette de noisetier sauvage, qui n’ait jamais porté et qui soit semblable à la verge foudroyante ; vous la couperez positivement au moment où le soleil paraît sur l’horizon. Cela fait, vous vous munirez d’une pierre ématille et de deux cierges bénits, et vous choisirez ensuite pour l’exécution un endroit où personne ne vous incommode. Vous pouvez même faire le pacte dans une chambre écartée ou dans quelque masure de vieux château ruiné, parce que l’esprit a le pouvoir d’y transporter tel trésor qui lui plaît. Vous tracerez un triangle avec votre pierre ématille, et cela seulement la première fois que vous faites le pacte ; ensuite vous placerez les deux cierges bénits à côté ; vous écrirez autour le saint nom de Jésus, afin que les esprits ne vous puissent faire aucun mal. Ensuite vous vous poserez au milieu du triangle, ayant en main la baguette mystérieuse, avec la grande appellation à l’esprit, la demande que vous voulez lui faire, le pacte et le renvoi de l’esprit.

» Vous commencerez à réciter l’appellation suivante avec fermeté.

« Empereur Lucifer, maître de tous les esprits rebelles, je te prie de m’être favorable dans l’appellation que je fais à ton grand ministre Lucifuge Rofocale, ayant envie de faire pacte avec lui. Je te prie aussi, prince Belzébut, de me protéger dans mon entreprise. Comte Astarot, sois-moi propice, et fais que dans cette nuit le grand Lucifuge m’apparaisse sous une forme humaine, sans aucune mauvaise odeur, et qu’il m’accorde, par le moyen du pacte que je vais lui présenter, toutes les richesses dont j’ai besoin. Ô grand Lucifuge ! je te prie de quitter ta demeure, dans quelque partie du monde qu’elle soit, pour venir me parler ; sinon je t’y contraindrai par la force du grand Dieu vivant, de son cher Fils et du Saint-Esprit ; obéis promptement, ou tu vas être éternellement tourmenté par la force des puissantes paroles de la grande Clavicule de Salomon, paroles dont il se servait pour obliger les esprits rebelles à recevoir son pacte. Ainsi, parais au plus tôt, ou je te vais continuellement tourmenter par la force de ces puissantes paroles de la Clavicule : Agipn, tetagram, vaychéon stimulamaton y ezparès tetragrammaton oryoram irion esytion existion eryona onera brasim moym messias solerEmanuelSabaotAdonay, teadoro etinvoco. »

» Vous êtes sûr que, d’abord que vous aurez lu ces puissantes paroles, l’esprit paraîtra et vous dira ce qui suit : « Me voici : que me demandes-tu ? Pourquoi troubles-tu mon repos ? Réponds-moi. — Je te demande pour faire pacte avec toi, et enfin que tu m’enrichisses au plus tôt ; sinon je te tourmenterai par les puissantes paroles de la Clavicule. — Je ne puis t’accorder ta demande qu’à condition que tu te donnes à moi dans vingt ans, pour faire de ton corps et de ton âme ce qu’il me plaira. »

» Alors vous lui jetterez votre pacte, qui doit être écrit de votre propre main sur un petit morceau de parchemin vierge ; il consiste en ce peu de mots auxquels vous mettrez votre signature avec votre véritable sang. « Je promets au grand Lucifuge de le récompenser dans vingt ans de tous les trésors qu’il me donnera. En foi de quoi je me suis signé. »

» L’esprit vous répondra : « Je ne puis accorder ta demande. »

» Alors, pour le forcer à vous obéir, vous relirez la grande interpellation avec les terribles paroles de la Clavicule, jusqu’à ce que l’esprit reparaisse et vous dise ce qui suit : « Pourquoi me tourmentes-tu davantage ? Si tu me laisses en repos, je te donnerai le plus prochain trésor, à condition que tu me consacreras une pièce tous les premiers lundis de chaque mois, et que tu ne m’appelleras qu’un jour de chaque semaine, de dix heures du soir à deux heures après minuit. Ramasse ton pacte, je l’ai signé ; et, si tu ne tiens pas ta parole, tu seras à moi dans vingt ans. —

» J’acquiesce à ta demande, à condition que tu me feras paraître le plus prochain trésor que je pourrai emporter tout de suite. »

» L’esprit dira : « Suis-moi et prends le trésor que je vais te montrer. »

» Vous le suivrez sans vous épouvanter ; vous jetterez votre pacte tout signé sur le trésor, en le touchant avec votre baguette ; vous en prendrez tant que vous pourrez, et vous vous en retournerez dans le triangle en marchant à reculons ; vous y poserez votre trésor devant vous, et vous commencerez tout de suite à lire le renvoi de l’esprit.

» Voici maintenant la conjuration et renvoi de l’esprit avec lequel on a fait pacte :

« Ô grand Lucifuge ! je suis content de toi pour le présent ; je te laisse en repos et te permets de te retirer où bon te semblera, sans faire aucun bruit ni laisser aucune mauvaise odeur. Pense aussi à ton engagement de mon pacte, car, si tu y manques d’un instant, tu peux être sûr que je te tourmenterai éternellement avec les grandes et puissantes paroles de la Clavicule de Salomon, par lequel on force tous les esprits rebelles à obéir…[2] »

  1. Bergier, Dictionnaire théologique. Voyez les différents pactes les plus célèbres, dans les Légendes infernales.
  2. Voyez sur les pactes plusieurs légendes dans les Légendes infernales.