Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Mythologie

Henri Plon (p. 485-486).
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Mythologie. Contentons-nous de citer ici quelques fragments de Benjamin Binet dans son Traité des dieux et des démons du paganisme :

« Si l’on fixait la théologie païenne à ce que les poètes nous en débitent, et à ce que le vulgaire a cru, il y aurait d’abord de quoi s’étonner en voyant comment l’homme, qui a conservé quelques linéaments de l’image de Dieu et qui en a une idée naturelle, s’est abandonné à des superstitions si absurdes. Les païens, qui n’avaient point d’autre guide que la mèche fumante de leur raison, sont tombés dans une espèce de délire en faisant autant de monstres de dieux qu’il y avait de créatures. Il est juste, avant d’examiner la croyance des philosophes, de vous décrire succinctement combien la croyance du vulgaire était grossière.

» Leurs dieux les plus vénérés, tels que les poètes nous les dépeignent, étaient plus propres à faire rire qu’à exciter la dévotion. Ils en avaient de ronds, de carrés, de triangulaires, d’informes, de boiteux, de borgnes, d’aveugles. Combien d’extravagances ne leur attribuait-on pas ! Les poètes nous parlent d’une manière bouffonne des amours d’un Anubis impudique et de la Lune ; ils nous apprennent que Diane avait été fouettée ; nous y lisons la précaution pieuse d’un Jupiter qui, étant sur le point de mourir, fit son testament ; nous y voyons les dieux en guerre au siège de Troie, l’attentat des Titans contre Jupiter, la terreur qu’ils donnèrent à tous les dieux, terreur qui leur fit quitter leur domicile et interrompre leurs fonctions pour aller se cacher en Égypte, et s’y métamorphoser en crocodiles et en oignons. Ils nous dépeignent la faim pressante des trois Hercules, les accents lugubres du Soleil déplorant le malheur de son fils foudroyé par Jupiter, les soupirs d’une Cybèle lascive qui se plaint de l’indifférence d’un berger insensible à ses flammes. Hercule vidait du fumier. Apollon était bouvier ; Neptune se loua à Laomédon pour bâtir les murs de Troie, et fut en cela d’autant plus malheureux qu’il n’en fut pas payé. Jupiter, le plus grand des dieux, prenait d’étranges formes pour séduire et ravir les femmes : il se changeait tantôt en pluie d’or, tantôt en cygne, tantôt en taureau.

» Pour ce qui est des fonctions des dieux, Arnobe reproche aux païens qu’ils en avaient dont les uns étaient drapiers, les autres matelots, ménétriers, gardes du bétail ; que l’un était musicien, l’autre servait de sage-femme, l’autre savait l’art de deviner, l’un était médecin, l’autre présidait à l’éloquence, l’un se mêlait des armes, l’autre était forgeron. » Enfin, saint Augustin, parlant des charges que les païens attribuaient à leurs dieux, conclut que « cela sent plutôt la bouffonnerie de théâtre que la majesté de Dieu (De Civit. Dei, lib. III, cap. v ».)

« Mais afin de vous montrer combien la théologie des païens était grossière, il faut vous en donner un petit abrégé plus exact. Évhémérus de Messine, qui a recueilli l’histoire de Jupiter et des autres dieux avec leurs titres, leurs épitaphes et leurs inscriptions, trouvées dans les temples les plus anciens, et particulièrement dans celui de Jupiter Triphilin, qui possédait une colonne où Jupiter avait lui-même gravé ses actions ; cet Évhémérus dit en substance que Saturne prit Ops pour femme ; que Titan, qui était l’aîné de ses enfants, voulut régner : mais que Vesta, leur mère, et Céres et Ops, leurs sœurs, conseillèrent à Saturne de ne point céder l’empire. Ce que voyant, Titan, qui se sentait le plus faible, s’accorda avec Saturne, à condition que, s’il engendrait des enfants mâles, il ne les élèverait point, afin que l’empire revînt à ses enfants : ainsi ils tuèrent le premier fils qui naquit à Saturne ; qu’ensuite naquirent Jupiter et Junon, dont ils ne montrèrent que Junon, et donnèrent Jupiter à Vesta pour le nourrir en cachette ; qu’après vint Neptune, que l’on cacha aussi, et enfin Pluton et Glauca ; que l’on montra Glauca, qui mourut bientôt après, et que Pluton fut nourri, comme Jupiter, en cachette. Or, cela étant parvenu aux oreilles de Titan, il assembla ses enfants, et mit Saturne et Ops au cachot. Mais Jupiter, étant devenu grand, combattit contre les Titans, les vainquit, et mit son père et sa mère hors de prison. Cependant, ayant découvert que son père, qu’il avait rétabli, était jaloux de lui et attentait à sa vie, il s’empara de l’État et le relégua en Italie. (Lactant., lib. I, cap. xiv.)

» Les païens distinguaient leurs dieux en divers ordres ; les uns étaient majores ou communes, comme Virgile les appelle (Æneid., lib. xii), parce qu’ils étaient reconnus et servis pour tels par toutes les nations sujettes à l’empire romain. On les nommait aussi œviterni. Ces grands dieux composaient une espèce de cour souveraine et étaient au nombre de douze, compris en ces deux vers d’Ennius : "

      Juno, Vesta, Minerva, Ceres, Diana, Venus, Mars,
      Mercurius, Jupiter, Neptunus, Vulcanus, Apollo.

» Les autres dieux passaient pour des divinités moyennes, célestes, terrestres, aquatiques et infernales, auxquelles on confiait le gouvernement de certaines parties de l’univers. Il y en avait d’autres que l’on ne reconnaissait que pour des dieux nouveaux qui avaient été ou engendrés des hommes et des dieux, ou déifiés par l’apothéose, à cause des bienfaits que l’on en avait reçus. Ces dieux s’appelaient indigetes, semidei. Tels étaient Hercule, Castor, Pollux, Esculape, et tous ceux que leurs mérites avaient élevés au ciel. Sur quoi Cicéron dit agréablement que le ciel est peuplé du genre humain. Il y en avait encore d’autres que l’on ne considérait que comme des dieux ou barbares et étrangers, ou incertains et inconnus, que l’on invoquait d’une manière douteuse, si tu es dieu, si tu es déesse, ou en général, sans les nommer, comme fait le bouffon comique de Plaute : Fassent, dit-il, tous les dieux grands ou petits, et les dieux des pots (Plaut., Cist., act. ii), etc. Ce sont ces divinités qu’Ovide appelle la populace des dieux, les Faunes, les Satyres, les Lares, les Nymphes.

» De tous ces dieux, il y en avait de bons et de mauvais, auxquels on sacrifiait afin qu’ils ne fissent point de mal (Aul. Gell., lib. v). Ces divinités hautes, moyennes et basses, n’étaient pas toutes également vénérées : on rendait à celles du premier ordre un culte suprême et universel, à celles du second un service subalterne. Que l’on adore, dit Cicéron, les dieux et ceux qui ont toujours été estimés célestes, et ceux que leurs mérites ont élevés au ciel (De leg., lib. ii). Mais pour les dieux inférieurs, étrangers, incertains et particuliers, on ne leur déférait qu’un honneur arbitraire, ou proportionné à leur faible pouvoir, qui ne s’étendait que sur certaines parties du monde, dont on leur avait donné le gouvernement.

» Je ne dirai rien de cette multitude de divinités païennes dont le nom seul est ridicule : tels étaient les dieux Vagitonus, Robigus, Picus, Tiberinus, Pilumnus, Consus ; telles étaient les déesses Cloacina, Educa, Potina, Volupia, Febris, Fessonia, Flora, etc. Je ne vous en rapporterai point mille histoires absurdes pour vous prouver que ce que l’on contait des dieux ne venait que des fictions des poètes, que le peuple, naturellement superstitieux, avait adoptées comme conformes à ses préjugés. »