Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Manie

Henri Plon (p. 441-442).

Manie. Il y a des manies féroces qu’on n’explique plus. Nos pères y voyaient une possession, et peut-être n’avaient-ils pas si tort. Le 24 octobre 1833, un fermier de Habershausen (Bavière), nommé Joseph Raas, sans doute possédé, tua sa femme par fanatisme ; il la croyait elle-même possédée du démon, il voulait le chasser du corps de cette malheureuse ; à cet effet il la frappa à coups redoublés d’une croix de métal qui lui ôta la vie. Pendant cette affreuse opération, quatre de ses enfants étaient présents et priaient, par son ordre, pour l’heureuse délivrance de leur mère. Aux cris de la victime, les voisins accoururent ; mais malheureusement il était trop tard : l’infortunée venait d’expirer.

Dernièrement, à Paris, un homme d’une quarantaine d’années, ayant une visite à faire dans le quartier Saint-Marcel, s’aperçut que sa barbe était plus longue qu’il ne convenait, et entra, pour se faire raser, chez le sieur R., perruquier dans une petite rue du quartier Mouffetard. Le barbier silencieux barbouilla de mousse de savon le visage de sa pratique et commença son office. Quand il en fut arrivé au cou du patient, il s’arrêta tout à coup et alla fermer à double tour la porte d’entrée, dont il mit la clef dans sa poche. Il revint alors vers son homme, qui l’avait regardé avec étonnement, et lui mettant le rasoir sur la gorge : « Monsieur, lui dit-il, je suis sous la dépendance d’un esprit qui est toujours invisible près de moi et qui vient de réordonner de vous couper le cou. » Trouvant la plaisanterie assez déplacée, le monsieur regarda le perruquier et remarqua que ses yeux brillaient d’un éclat extraordinaire. Quoique commençant à s’effrayer, il ne perdit pas son sang-froid, et d’un air dégagé il répondit : « Vous me laisserez au moins le temps de faire ma prière. — C’est juste, répond le barbier, et pour que ma présence ne vous dérange pas, je vais me retirer. » Il entra en effet dans l’arrière-boutique et en ferma la porte sur lui. Le monsieur courut alors à la devanture, Brisa un carreau et appela du monde. La porte ayant été enfoncée, on pénétra dans l’arrière-boutique, et on trouva le perruquier étendu sanglant sur le parquet ; il s’était à lui-même coupé la gorge avec le rasoir. Depuis quelques jours cet homme donnait des signes d’aliénation mentale ; mais on était loin de supposer qu’il atteindrait d’une manière si subite le paroxysme de la folie.