Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Magnétisme

Henri Plon (p. 428-429).
Magoa  ►

Magnétisme, science longtemps occulte. Cependant elle a été pratiquée par l’hérétique Marc, plus récemment par Mesmer et Cagliostro. Voici ce qu’écrivait à Bruxelles, en 1839, dans un recueil périodique intitulé le Magnétophile, un écrivain qui pouvait être M. Jobard ou M. Victor Idgiez :

« Le nom de magnétiseurs ne désignait autrefois que quelques mesmériens ou illuminés et quelques songe-creux. Aujourd’hui le magnétisme a fraternisé avec les sciences physiques, qui seules pouvaient éclairer ses données ; il forme la souche principale dont les autres sciences ne sont que les rameaux… Ses progrès sont liés plus immédiatement au profit de la société qu’elle ne semble le penser, dans la préoccupation de ses mesquines passions, de sa vie tumultueuse et agitée. Sous quelque point de vue qu’on le considère, son importance éclate et grandit chaque jour ; mais son immensité nuit encore à ses progrès, parce que personne, isolément, n’a encore le pouvoir d’embrasser son étendue. Le magnétisme est un problème qui se débat depuis près d’un siècle en Europe, dont l’Académie de médecine, en France, a ranimé l’énergie sans en donner la solution, et qui se complique, au contraire, chaque jour davantage par des phénomènes plus merveilleux. On l’a vu concentré d’abord entre les mains de quelques adeptes ignorants ou fanatiques ; de grandes expériences ont été faites ensuite, appuyées sur des noms qui ont porté la conviction dans quelques esprits. Aujourd’hui des savants le rejettent encore, il est vrai ; mais un savant se décide si difficilement à désapprendre ! Une innovation l’épouvante, car elle l’humilie et le détrône. Les doctrines cartésiennes ont lutté longtemps en France contre les vieilles universités avant d’obtenir leur droit de cité ; plus tard elles repoussèrent elles-mêmes les principes de la philosophie newtonienne ; celle-ci rejetait les découvertes d’Huygens ; Beaumé et Lesage niaient les belles théories de la chimie moderne ; Romé-Delisle persiflait l’interprète des phénomènes électro-magnétiques. D’ailleurs, le tabac, le café, l’émétique, la vaccine et jusqu’aux pommes de terre, n’ont-ils pas éprouvé leur temps de persécution ? L’Académie de médecine ne se constitua-t-elle pas formellement opposée à ce que la chimie, cette corne d’abondance des sociétés modernes, fût enseignée dans Paris, comme étant, pour bonnes causes et considérations, défendue et censurée par arrêt du parlement ? L’établissement des banques, des écoles, des voitures publiques, ne rencontra-t-il pas également une opposition formidable dans ce même parlement ? Jacquart ne vit-il pas brûler en place publique, par ordre des prud’hommes de Lyon, ses métiers, qui devaient faire cependant la prospérité et la fortune de cette seconde capitale de la France ? Franklin ne fut-il pas tourné en ridicule quand il apprit aux campagnards l’art de fertiliser les champs avec du plâtre ? Christophe Colomb ne fut-il pas chassé de toutes les cours quand son génie lui fit apparaître un monde dont il voulait doter sa patrie[1] ?… Pitheas, Wedel, Cook, Billinghausen, Biscoé et autres voyageurs célèbres, ne furent-ils pas taxés d’imposture ? Averrhoès, Volta, Fui Ion, Salomon de Caus, Davy, Arkwright, Gall, Lavater et tous ceux qui se sont présentés, une découverte à la main, à la porte de ce vaste Charenton qu’on appelle le monde, n’ont-ils pas été reçus à coups de sifflets ?…

» Cependant le magnétisme voit aussi son triomphe. Déjà il a détruit les doctrines impies de l’école médicale physiologique de Broussais, qui prétendait ramener aux seuls organes matériels du corps les nobles facultés de l’intelligence ; mission d’autant plus grande que là sont les bases de toute société, la clef de voûte et le ciment de tout édifice social. Le premier et le plus bel apanage du magnétisme est donc de devenir une arme toute-puissante contre les partisans de la matière, une preuve irrésistible, irréfragable, évidente, palpable, de l’existence de l’âme indépendante du secours des sens… »

Sans oser juger ici le magnétisme, et sans pouvoir nier ses effets, qui sont évidents, bornons-nous à dire que le magnétisme existe ; que c’est une nouvelle branche de merveilles plus incompréhensible encore que le galvanisme ; qu’on n’en pourra jamais sans doute établir les éléments, mais qu’on en doit tirer un immense parti en médecine. L’Académie des sciences, qui s’obstinait à le nier lorsqu’elle n’était composée en majorité que de matérialistes, le reconnaît aujourd’hui. Les juges religieux n’ont condamné que ses abus. Voy. Somnambulisme. Voy. aussi Mesmer.

Les plus sûrs ouvrages à consulter pour connaître impartialement le magnétisme sont les livres spéciaux de M. Aubin Gauthier, surtout son Traité pratique du magnétisme, in-8o, Paris, 1845. On peut voir aussi le livre de M. l’abbé Loubers et le remarquable ouvrage de M. de Mirville sur les esprits.

  1. Cet écrivain, se trompant comme tant d’autres, cite Galilée. Voyez Galilée.