Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Loups-garous

Henri Plon (p. 414-416).
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Loups-garous. On appelle loups-garous en sorcellerie les hommes et les femmes qui ont été métamorphosés ou qui se métamorphosent et se transmuent eux-mêmes en loups, ou qui se travestissent pour feindre cette transmutation, ou qui, s’imaginant, par une démence abominable, qu’ils sont changés en loups, prennent des habitudes et des mœurs de loups. Le nom de loups-garous veut dire loups dont il faut se garer.

Les loups-garous ont été bien longtemps la terreur des campagnes, parce qu’on savait que les sorciers ne pouvaient se faire loups que par le secours du diable. Dans les idées des démonographes, un loup-garou est un sorcier que le diable lui-même transmue en loup, et qu’il oblige à errer dans les campagnes en poussant d’affreux hurlements. L’existence de loups-garous est attestée par Virgile, Solin, Strabon, Pomponius Mêla, Dionysius Afer, Varron, et par tous les jurisconsultes et aussi par des démonomanes des derniers siècles. À peine commençait-on à en douter sous Louis XIV. L’empereur Sigismond fit débattre devant lui la question des loups-garous, et il fut unanimement résolu que la transformation des loups-garous était un fait positif et constant.

Un garnement qui voulait faire des friponneries mettait aisément les gens en fuite en se faisant passer pour loup-garou. Il n’avait pas besoin pour cela d’avoir la figure d’un loup, puisque les loups-garous de réputation étaient arrêtés comme tels, quoique sous leur figure humaine. On croyait alors qu’ils portaient le poil de loup-garou entre cuir et chair.

Peucer conte qu’en Livonie, sur la fin du mois de décembre, il se trouve tous les ans un bélître qui va sommer les sorciers de se rendre en certain lieu ; et, s’ils y manquent, le diable les y mène de force, à coups si rudement appliqués que les marques y demeurent. Leur chef passe devant, et quelques milliers le suivent, traversant une rivière, laquelle passée, ils changent leur figure en celle d’un loup, se jettent sur les hommes et sur les troupeaux et font mille dommages. Douze jours après, ils retournent au même fleuve et redeviennent hommes.

On attrapa un jour un loup-garou qui courait dans les rues de Padoue ; on lui coupa ses pattes de loup, et il reprit au même instant la forme d’homme, mais avec les bras et les pieds coupés, à ce que dit Fincel.

L’an 1588, en un village distant de deux lieues d’Apchon, dans les montagnes d’Auvergne, un gentilhomme v étant sur le soir à sa fenêtre, aperçut un chasseur de sa connaissance et le pria de lui rapporter de sa chasse. Le chasseur promit, et, s’étant avancé dans la plaine, il vit un gros loup qui venait à sa rencontre. Il lui lâcha un coup d’arquebuse et le manqua. Le loup se jeta sur lui et l’attaqua vivement. Mais l’autre, en se défendant, lui ayant coupé la patte droite avec son couteau de chasse, le loup estropié s’enfuit et ne revint plus. Comme la nuit approchait, le chasseur gagna la maison de son ami, qui lui demanda s’il avait fait bonne chasse. Il tira de sa gibecière la patte coupée au prétendu loup, mais il fut bien étonné de la voir convertie en main de femme, et à l’un des doigts un anneau d’or que le gentilhomme reconnut être celui de son épouse. Il alla aussitôt la trouver. Elle était auprès du feu, cachant son bras droit sous son tablier. Comme elle refusait de l’en tirer, il lui montra la main que le chasseur avait rapportée ; cette malheureuse, éperdue, avoua que c’était elle, en effet, qu’on avait poursuivie sous la figure d’un loup-garou ; ce qui se vérifia encore en confrontant la main avec le bras dont elle faisait partie. Le mari courroucé livra sa femme à la justice ; elle fut brûlée.

Que penser d’une telle histoire, racontée par Boguet comme étant de son temps ? Était-ce une trame d’un mari qui voulait, comme disent les Wallons, être quitte de sa femme ?

Daniel Sennert, médecin célèbre qu’on a appelé le Galien de l’Allemagne, au chap. v de ses Maladies occultes, rapporte des faits d’où il résulterait que l’habitude pour certains maniaques endiablés de courir le loup-garou aurait de l’analogie avec la mystérieuse puissance qui transportait au sabbat certaines personnes dont le corps, pendant cette excursion, restait en syncope. Une femme accusée d’avoir couru le loupgarou, rassurée par la promesse de son juge, qui lui assurait la vie sauve si elle voulait donner la preuve de ce qu’elle faisait dans ses courses, se frotta le corps d’un onguent particulier et tomba aussitôt endormie. Elle ne se réveilla qu’au bout de trois heures. Elle raconta alors qu’étant changée en loup, elle avait éventré une brebis près d’un bourg qu’elle nomma ; on y envoya aussitôt, et on trouva qu’en effet la brebis qu’elle avait désignée, était déchirée et mourante. Comment expliquer cela ?

Les loups-garous étaient fort communs dans le Poitou ; on les y appelait la bête bigourne qui court la galipode. Quand les bonnes gens entendent les hurlements du loup-garou, ce qui n’arrive qu’au milieu de la nuit, ils se gardent de mettre la tête à la fenêtre, parce qu’ils auraient le cou tordu. On assure, dans cette province, qu’on peut forcer le loup-garou à quitter sa forme d’emprunt, en lui donnant un coup de fourche entre les deux yeux.

On sait que la qualité distinctive des loups-garous est un grand goût pour la chair fraîche. Delancre assure qu’ils étranglent les chiens et les enfants ; qu’ils les mangent de bon appétit ; qu’ils marchent à quatre pattes ; qu’ils hurlent comme de vrais loups, avec de grandes gueules, des yeux étincelants et des dents crochues.

On dit, dans la Saintonge, que la peau des loups-garous est d’une dureté telle qu’elle est à l’épreuve des balles ordinaires ; mais il n’en est plus de même si ces balles ont été bénites à certaines heures mystérieuses de la nuit, dans une chapelle dédiée à saint Hubert : alors le sorcier peut être tué, et la forme de bête qu’il avait prise s’évanouit et disparaît. Or, les cérémonies de la bénédiction des balles sont d’un accomplissement difficile ; il faut avoir sur soi tant de choses précieuses, du trèfle à quatre feuilles surtout, que la peau coriace des loups-garous échappe le plus souvent aux embûches ; et c’est ce qui fait que nul ne peut être assuré avoir vu un sorcier autrement que sous la forme naturelle de bête bipède. Les croyances saintongeoises, au reste, ne s’éloignent en rien de celles des peuples du Nord, et sont nées aux mêmes sources que la fable de Robin des Bois des charbonniers allemands. Le nom des loups-garous a été connu dans toutes les provinces de France au moyen âge, bien que souvent travesti en loups-béroux.

Bodin raconte sans rougir qu’en 1542 on vit un matin cent cinquante loups-garous sur une place de Constantinople. — On trouve dans le roman de Persilès et Sigismonde, dernier ouvrage de Cervantés, des îles de loups-garous et des sorcières qui se changent en louves pour enlever leur proie, comme on trouve dans Gulliver une île de sorciers. Mais au moins ces livres sont des romans. — Delancre propose[1] comme un bel exemple ce trait d’un duc de Russie. Averti qu’un sien sujet se changeait en toutes sortes de bêtes, il l’envoya chercher, le fit enchaîner et lui commanda de donner une preuve de son art ; ce qu’il fit, se transformant en loup ; mais ce duc, ayant préparé deux dogues, les fit lancer contre ce misérable, qui aussitôt fut mis en pièces. — On amena au médecin Pomponace un paysan atteint de lycanthropie, qui criait à ses voisins de s’enfuir s’ils ne voulaient pas qu’il les mangeât. Comme ce pauvre homme n’avait rien de la forme d’un loup, les villageois, persuadés pourtant qu’il l’était, avaient commencé à l’écorcher, pour voir s’il ne portait pas le poil sous la peau. Pomponace le guérit ; ce n’était qu’un hypocondre.

J. de Nynauld a publié en 1615 un traité complet de la Lycanthropie, qu’il appelle aussi Folie louvière et lycaonie, mais dont il admet incontestablement la réalité. — Un sieur de Beauvoys de Chauvincourt, gentilhomme angevin, a fait imprimer en 1599 (Paris, petit in-12) un volume intitulé Discours de la lycanthropie, ou de la transmutation des hommes en loups. — Claude, prieur de Laval, avait publié quelques années auparavant un autre livre sur la même matière, intitulé Dialogue de la lycanthropie. Ils affirment tous qu’il y a certainement des loups-garous.

Ce qui est plus singulier, c’est qu’il y a encore dans plusieurs villages des loups-garous, ou de mauvais garnements qui passent pour tels. On se demandera comment il se peut qu’un sorcier ou un loup-garou trouble ou épouvante une contrée pendant trois ou quatre ans, sans que la justice l’arrête. C’est encore une des misères de nos paysans. Comme il y a chez eux beaucoup de méchants, ils se craignent entre eux ; ils ont un discernement et une expérience qui leur apprennent que la justice n’est pas toujours juste ; et ils disent : Si nous dénonçons un coupable et qu’il ne soit pas hors d’état de nuire, c’est un ennemi implacable que nous allons nous faire. Les paysans sont vindicatifs. Après dix ans de galères, ils reviennent se venger de leurs dénonciateurs. Il faudrait peut-être qu’un coupable qui sort des galères n’eût pas le droit de reparaître dans le pays qui a été le théâtre de ses méfaits. Voy. Cynanthropie, Bousanthropie, Raollet, Bisclavaret, etc.

  1. Inconstance des mauvais anges, liv. IV, p. 304.