Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Huet

Henri Plon (p. 346-347).
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Huet (Pierre-Daniel), célèbre évêque d’Avranches, mort en 1721. — On trouve ce qui suit dans le Huetiana, ou Pensées diverses de M. Huet, évêque d’Avranches[1], touchant les broucolaques et les tympanites des îles de l’Archipel. « C’est une chose assez étrange que ce qu’on rapporte des broucolaques des îles de l’Archipel. On dit que ceux qui, après une méchante vie, sont morts dans le péché, paraissent en divers lieux avec la même figure qu’ils portaient pendant leur vie ; qu’ils font souvent du désordre parmi les vivants, frappant les uns, tuant les autres ; rendant quelquefois des services utiles, et donnant toujours beaucoup d’effroi. Ils croient que ces corps sont abandonnés à la puissance du démon, qui les conserve^ les anime et s’en sert pour la vexation des hommes. Le Père Richard, jésuite, employé aux missions de ces îles, il y a environ cinquante ans, donna au public une relation de l’île de Saint-Erini ou de Sainte-Irène, qui était la Thera des anciens, dont la fameuse Cyrène fut une colonie. Il a fait un grand chapitre de l’histoire des broucolaques. Il dit que, lorsque le peuple est infesté de ces apparitions, on va déterrer le corps, qu’on trouve entier et sans corruption, qu’on le brûle, ou qu’on le met en pièces, principalement le cœur ; après quoi les apparitions cessent et le corps se corrompt[2]. Le mot de Broucolaques vient du Grec moderne Bourcos qui signifie de la boue, et de Laucos qui signifie fosse, cloaque, parce qu’on trouve ordinairement, comme on l’assure, les tombeaux où l’on a mis ces corps, pleins de bouc. Je n’examine point si les faits que l’on rapporte sont véritables, ou si c’est une erreur populaire ; mais il est certain qu’ils sont rapportés par tant d’auteurs habiles et dignes de foi, et par tant de témoins oculaires, qu’on ne doit pas prendre parti sans beaucoup d’attention. Il est certain aussi que cette opinion, vraie ou fausse, est fort ancienne, et les auteurs en sont pleins. Lorsqu’on avait tué quelqu’un frauduleusement et par surprise, les anciens habitants croyaient ôter au mort le moyen de s’en venger en lui coupant les pieds, les mains, le nez et les oreilles. Cela s’appelait Acroteriazein. Ils pendaient tout cela au cou des défunts, ou ils le plaçaient sous leurs aisselles, d’où s’est formé le mot Mascalizein qui signifie la même chose. On en lit un témoignage exprès dans les Scholies grecques[3] de Sophocle. C’est ainsi que fat traité par Ménélas Déiphobs, mari d’Hélène, et ce fut en cet état qu’il fut vu d’Énée dans les enfers.

     Atque hic Priamidem laniatum corpore toto
     Deïphobum vidit, lacerum crudeliter ora,
     Ora, manusque ambas, populataque tempora raptis
     Auribus, et truncas inhonesto vulnere nares.

« Suétone écrit qu’après la mort violente de Caligula, son corps n’ayant été brûlé qu’à moitié et enterré fort superficiellement, la maison où on l’avait tué et les jardins où il était mis en terre furent inquiétés de spectres toutes les nuits, jusqu’à ce que cette maison fut brûlée, et que les sœurs du défunt eussent rendu plus régulièrement à son corps les derniers devoirs. Servius[4] marque expressément que les âmes des morts (dans l’opinion des anciens) ne trouvaient le lieu de leur repos qu’après que le corps était entièrement consumé. Les Grecs aujourd’hui sont encore persuadés que les corps des excommuniés ne se corrompent point, mais s’enflent comme un tambour et en expriment le bruit quand on les frappe ou qu’on les roule sur le pavé. C’est ce qui les fait appeler toupi ou tympanites. »

  1. in-4°, Paris, 1722.
  2. Relation de l’île Sanierini, par le P. Richard, ch. xviii.
  3. Vide Elect., v. 448 ; Meursium in Lycophronem, p. 309 ; Stanleium in Æschil. Cœph. v. 437,
  4. In Æneid., liv. IV, vers. 418