Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Dormants

Henri Plon (p. 219-220).
◄  Dorée
Dosithée  ►

Dormants. L’histoire des sept Dormants est encore plus fameuse chez les Arabes que chez les chrétiens. Mahomet l’a insérée dans son Koran, et les Turcs l’ont embellie.

Sous l’empire de Décius, l’an de notre ère 250, il y eut une grande persécution contre les chrétiens. Sept jeunes gens, attachés au service de l’empereur, ne voulant pas désavouer leur croyance et craignant les supplices, se réfugièrent dans une caverne située à quelque distance d’Éphèse. Par une grâce particulière, ils y dormirent d’un sommeil profond pendant deux cents ans. Les mahométans assurent que, durant ce sommeil, ils eurent des révélations surprenantes, et qu’ils apprirent en songe tout ce que pourraient savoir des hommes qui auraient employé un pareil espace de temps à étudier assidument.

Leur chien, ou du moins celui d’un d’entre eux, les avait suivis dans leur retraite ; il mit à profit, aussi bien qu’eux, le temps de son sommeil. Il devint le chien le plus instruit du monde.

Sous le règne de Théodose le jeune, l’an de Notre-Seigneur 450, les sept Dormants se réveillèrent et entrèrent dans la ville d’Éphèse, croyant n’avoir fait qu’un bon somme ; mais ils trouvèrent tout bien changé. Il y avait longtemps que les persécutions contre le christianisme étaient finies ; des empereurs chrétiens occupaient les deux trônes impériaux d’Orient et d’Occident. Les questions des frères et l’étonnement qu’ils témoignèrent aux réponses qu’on leur fit surprirent tout le monde. Ils contèrent naïvement leur histoire Le peuple, frappé d’admiration, les conduisit à l’évêque, celui-ci au patriarche et le patriarche à l’empereur. Ces sept Dormants révélèrent les choses du monde les plus singulières, et en prédirent qui ne l’étaient pas moins. Ils annoncèrent entre autres l’avènement de Mahomet, l’établissement et les succès de sa religion, comme devant avoir lieu deux cents ans après son réveil.

Quand ils eurent satisfait la curiosité de l’empereur, ils se retirèrent de nouveau dans leur caverne et y moururent tout de bon : on montre encore cette grotte auprès d’Éphèse.

Quant à leur chien Kratim ou Katmir, il acheva sa carrière et vécut autant qu’un chien peut vivre, en ne comptant pour rien les deux cents ans qu’il avait dormi en compagnie de ses maîtres. C’était un animal dont les connaissances surpassaient celles de tous les philosophes, les savants et les beaux esprits de son siècle ; aussi s’empressait-on de le fêter et de le régaler ; et les musulmans le placent dans le paradis de Mahomet, entre l’âne de Balaam et celui qui portait Notre-Seigneur le jour des Rameaux.

Cette historiette a tout l’air d’une contre-partie de la fable d’Épiménides de Crète, qui, s’étant endormi sur le midi dans une caverne en cherchant une de ses brebis égarée, ne se réveilla que quatre-vingt-sept ans après, et se remit à chercher ses brebis comme s’il n’eût dormi qu’un peu de temps.

Delrio parle d’un paysan qui dormit un automne et un hiver sans se réveiller[1].


  1. Dans les Disquisitions magiques.