Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Crapaud
Crapaud. Les crapauds tiennent une grande place dans la sorcellerie. Les sorcières les aiment et les choient. Elles ont toujours soin d’en avoir
quelques-uns, qu’elles soignent, qu’elles nourrissent et qu’elles accoutrent de livrées de velours vert, rouge ou noir. Pierre Delancre dit que les grandes sorcières sont ordinairement assistées de quelque démon, qui est toujours sur leur épaule gauche en forme de crapaud, ayant deux petites cornes en tête ; il ne peut être vu que de ceux qui sont ou qui ont été sorciers. Le diable baptise ces crapauds au sabbat. Jeannette Abadie et d’autres femmes ont révélé qu’elles avaient vu de ces crapauds habillés de velours rouge, et quelques-uns de velours noir ; ils portaient une sonnette au cou et une autre aux pattes de derrière.
Au mois de septembre 1610, un homme se promenant dans la campagne, près de Bazas, vit un chien qui se tourmentait devant un trou ; ayant fait creuser, il y trouva deux grands pots renversés l’un sur l’autre, liés ensemble à leur ouverture et enveloppés de toile ; le chien ne se calmant pas, on ouvrit les pots, qui se trouvèrent pleins de son, au dedans duquel reposait un gros crapaud vêtu de taffetas vert[1]. C’était à coup sûr une sorcière qui l’avait mis là pour quelque maléfice.
Nous rions de ces choses à présent, mais c’étaient choses sérieuses au seizième siècle, et choses dont l’esprit ne nous est pas expliqué.
Le peuple est persuadé, dit M. Salgues[2], que le crapaud a la faculté de faire évanouir ceux qu’il regarde fixement, et cette assertion est accréditée par un certain abbé Rousseau, qui a publié, dans le cours du dernier siècle, quelques observations d’histoire naturelle : il prétend que la vue seule du crapaud provoque des spasmes, des convulsions, la mort même. Il rapporte qu’un gros crapaud, qu’il tenait renfermé sous un bocal, l’ayant regardé fixement, il se sentit aussitôt saisi de palpitations, d’angoisses, de mouvements convulsifs, et qu’il serait mort infailliblement si l’on n’était venu à son secours… Élien, Dioscoride, Nicandre, Etius, Gesner, ont encore écrit que l’haleine du crapaud était mortelle, et qu’elle infectait les lieux où il respire. On a cité l’exemple de deux amants qui, ayant pris de la sauge sur laquelle un crapaud s’était promené, moururent aussitôt[3]. Mais ce sont là souvent des contes. Cependant le crapaud est en horreur chez tous les peuples, excepté sur les bords de l’Orénoque, où, pour le consoler de nos mépris, des Indiens lui rendaient les honneurs d’un culte ; ils gardaient soigneusement les crapauds sous des vases, pour en obtenir de la pluie ou du beau temps, selon leurs besoins, et ils étaient tellement persuadés qu’il dépendait de ces animaux de l’accorder, qu’on les fouettait chaque fois que la prière n’était pas exaucée[4].