Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Cartomancie

Henri Plon (p. 138-140).
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Cartomancie, divination par les cartes, plus connue sous le nom d’art de tirer les cartes. On dit que les cartes ont été inventées pour amuser la folie de Charles VI ; mais Alliette, qui écrivit sous le nom d’Etteilla, nous assure que la cartomancie, qui est l’art de tirer les cartes, est bien plus ancienne. Il fait remonter cette divination au jeu des bâtons d’Alpha (nom d’un Grec fameux exilé en Espagne, dit-il). Il ajoute qu’on a depuis perfectionné cette science merveilleuse. On s’est servi de tablettes peintes ; et quand Jacquemin Gringoœur offrit les cartes au roi Charles le Bien-Aimé, il n’avait eu que la peine de transporter sur des cartons ce qui était connu des plus habiles devins sur des planchettes. Il est fâcheux que cette assertion ne soit appuyée d’aucune preuve.

Cependant les cartes à jouer sont plus anciennes que Charles VI. Boissonade a remarqué que le petit Jehan de Saintré ne fut honoré de la faveur de Châties V que parce qu’il ne jouait ni aux


cartes ni aux dés. Il fallait bien aussi qu’elles fussent connues en Espagne lorsque Alphonse XI les prohiba en 1332, dans les statuts de l’ordre de la Bande. Quoi qu’il en soit, les cartes, d’abord tolérées, furent ensuite condamnées ; et c’est une opinion encore subsistante dans l’esprit de quelques personnes que qui tient les cartes tient le diable. C’est souvent vrai, au figuré. « Ceux qui font des tours de cartes sont sorciers le plus souvent, » dit Boguet. Il cite un comte italien qui vous mettait en main un dix de pique, et vous trouviez que c’était un roi de cœur[1]. Que penserait-il des prestidigitateurs actuels ?

Il n’est pas besoin de dire qu’on a trouvé tout dans les cartes, histoire, sabéisme, sorcellerie. Il y a même eu des doctes qui ont vu toute l’alchimie dans les figures ; et certains cabalistesont prétendu y reconnaître les esprits des quatre éléments. Les carreaux sont les salamandres, les cœurs sont les sylphes, les trèfles les ondins, et les piques les gnomes.

Arrivons à l’art de tirer les cartes. On se sert presque toujours, pour la cartomancie, d’un jeu de piquet de trente-deux cartes, où les figures n’ont qu’une tête. Les cœurs et les trèfles sont généralement bons et heureux ; les carreaux et les piques, généralement mauvais et malheureux. Les figures en cœur et en carreau annoncent des personnes blondes ou châtain-blond ; les figures en pique ou en trèfle annoncent des personnes brunes ou châtain-brun. Voici ce que signifie chaque carte : Les huit cœurs. — Le roi de cœur est un homme honorable qui cherche à vous faire du bien ; s’il est renversé, il sera arrêté dans ses loyales intentions. La dame de cœur est une femme honnête et généreuse de qui vous pouvez attendre des services ; si elle est renversée, c’est le présage d’un retard dans vos espérances. Le valet de cœur est un brave jeune homme, souvent un militaire, qui doit entrer dans votre famille et cherche à vous être utile ; il en sera empêché s’il est renversé. L’as de cœur annonce une nouvelle agréable ; il représente un festin ou un repas d’amis quand il se trouve entouré de figures. Le dix de cœur est une surprise qui fera grande joie ; le neuf promet une réconciliation, il resserre les liens entre les personnes qu’on veut brouiller. Le huit promet de la satisfaction de la part des enfants. Le sept annonce un bon mariage.

Les huit carreaux. — Le roi de carreau est un homme assez important qui pense à vous nuire, et qui vous nuira s’il est renversé. La dame est une méchante femme qui dit du mal de vous, et qui vous fera du mal si elle est renversée. Le valet de carreau est un militaire ou un messager qui vous apporte des nouvelles désagréables ; et s’il est renversé, des nouvelles fâcheuses. L’as de carreau annonce une lettre ; le dix de carreau, un voyage nécessaire et imprévu ; le neuf, un retard d’argent ; le huit, des démarches qui surprendront de la part d’un jeune homme ; le sept, un gain de loterie ; s’il se trouve avec l’as de carreau, assez bonnes nouvelles.

Les huit piques. — Le roi représente un commissaire, un juge, un homme de robe avec qui on aura des disgrâces ; s’il est renversé, perte d’un procès. La dame est une veuve qui cherche à vous tromper : si elle est renversée, elle vous trompera. Le valet est un jeune homme qui vous causera des désagréments ; s’il est renversé, présage de trahison. L’as, grande tristesse ; le dix, emprisonnement ; le neuf, retard dans les affaires ; le huit, mauvaise nouvelle ; s’il est suivi du sept de carreau, pleurs et discordes. Le sept, querelles et tourments, à moins qu’il ne soit accompagné de cœurs.

Les huit trèfles. — Le roi est un homme juste, qui vous rendra service ; s’il est renversé, ses intentions honnêtes éprouveront du retard. La dame est une femme qui vous aime ; une femme jalouse, si elle est renversée. Le valet promet un mariage, qui ne se fera pas sans embarras préliminaires, s’il est renversé. L’as, gain, profit, argent à recevoir ; le dix, succès ; s’il est suivi du neuf de carreau, retard d’argent ; perte s’il se trouve à côté du neuf de pique. Le neuf, réussite ; le huit, espérances fondées : le sept, faiblesse, et s’il est suivi d’un neuf, héritage.

Quatre rois de suite, honneurs ; trois de suite, succès dans le commerce ; deux rois de suite, bons conseils. Quatre dames de suite, grands caquets ; trois dames de suite, tromperies ; deux dames de suite, amitié. Quatre valets de suite, maladie contagieuse ; trois valets de suite, paresse ; deux valets de suite, dispute. Quatre as de suite, une mort ; trois as de suite, libertinage ; deux as de suite, inimitié. Quatre dix de suite, événements désagréables ; trois dix de suite, changement d’état ; deux dix de suite, perte. Quatre neuf de suite, bonnes actions ; trois neuf de suite, imprudence ; deux neuf de suite, argent. Quatre huit de suite, revers ; trois huit de suite, mariage ; deux huit de suite, désagréments. Quatre sept de suite, intrigues ; trois sept de suite, divertissements ; deux sept de suite, petites nouvelles.

Il y a plusieurs manières de tirer les cartes. La plus sûre méthode est de les tirer par sept, comme il suit : Après avoir mêlé le jeu, on le fait couper de la main fauche par la personne pour qui on opère ; on compte les cartes de sept en sept, mettant de côté la septième de chaque paquet. On répète l’opération jusqu’à ce qu’on ait produit douze cartes. Vous étendez ces douze cartes sur la table les unes à côté des autres, selon l’ordre dans lequel elles sont venues ; ensuite vous cherchez ce qu’elles signifient, d’après la valeur et la position de chaque carte, ainsi qu’on l’a expliqué. Mais avant de tirer les cartes, il ne faut pas oublier de voir si la personne pour laquelle on les tire est sortie du jeu. On prend ordinairement le roi de cœur pour un homme blond marié ; le roi de trèfle pour un homme brun marié ; la dame de cœur pour une dame ou une demoiselle blonde ; la dame de trèfle pour une dame ou une demoiselle brune ; le valet de cœur pour un jeune homme blond ; le valet de trèfle pour un jeune homme brun. — Si la carte qui représente la personne pour qui on opère ne se trouve pas dans les douze cartes que le hasard vient d’amener, on la cherche dans le reste du jeu, et on la place simplement à la fin des douze cartes sorties. Si, au contraire, elle s’y trouve, on fait tirer à la personne pour qui on travaille (ou l’on lire soi-même si c’est pour soi que l’on consulte) une treizième carte à jeu ouvert. On la place pareillement à la fin des douze cartes étalées, parce qu’il est reconnu qu’il faut treize cartes. Alors, on explique sommairement l’ensemble du jeu. Ensuite, en partant de la carte qui représente la personne pour qui on interroge le sort, on compte sept et on s’arrête ; on interprète la valeur intrinsèque et relative de la carte sur laquelle on fait station ; on compte sept de nouveau, et de nouveau on explique, parcourant ainsi tout le jeu à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’on revienne précisément à la carte de laquelle on est parti. On doit déjà avoir vu bien des choses, il reste cependant une opération importante. On relève les treize cartes, on les mêle, on fait à nouveau couper de la main gauche. Après quoi on dispose les cartes à couvert sur dix paquets : 1° pour la personne ; 2° pour la maison ou son intérieur ; 3° pour ce qu’elle attend ; 4° pour ce qu’elle n’attend pas ; 5° pour sa surprise ; 6° pour sa consolation ou sa pensée. — Les six premières cartes ainsi rangées sur la table, il en reste sept dans la main. On fait un second tour, mais on ne met une carte que sur chacun des cinq premiers paquets. Au troisième tour, on pose les deux dernières cartes sur les numéros 1 et 2. On découvre ensuite successivement chaque paquet, et on l’explique en commençant par le premier, qui a trois cartes ainsi que le deuxième, en finissant par le dernier qui n’en a qu’une. — Voilà tout entier l’art de tirer les cartes ; les méthodes varient ainsi que la valeur des cartes, auxquelles on donne dans les livres spéciaux des sens très-divers et très-arbitraires ; mais les résultats ne varient pas.

Nous terminerons en indiquant la manière de faire ce qu’on appelle la réussite. — Prenez également un jeu de piquet de trente-deux cartes. Faites huit paquets à couvert de quatre cartes chacun, et les rangez sur la table ; retournez la première carte de chaque paquet ; prenez les cartes de la même valeur deux par deux, comme deux dix, deux rois, deux as, etc., en retournant toujours à découvert sur chaque paquet la carte qui suit celle que vous enlevez. Pour que la réussite soit assurée, il faut que vous retiriez de la sorte toutes les cartes du jeu, deux par deux, jusqu’aux dernières. — On fait ces réussites pour savoir si un projet ou une affaire aura du succès, ou si une chose dont on doute a eu lieu.

Alliette, sous le nom d’Etteilla, a publié un long traité sur cette matière. Citons encore l’Oracle parfait, ou nouvelle manière de tirer les cartes, au moyen de laquelle chacun peut faire son horoscope. In-12, Paris, 1802. Ce petit livre, de 92 pages, est dédié au beau sexe par Albert d’Alby. L’éditeur est M. de Valembert, qui fait observer que l’Oracle parfait devait paraître en 1788 ; que la censure l’arrêta, et qu’on n’a pu qu’en 1802 en gratifier le public. La méthode de ce livre est embrouillée ; l’auteur veut qu’on emploie vingt cartes disposées en cinq tas, de cette manière : un au milieu, un au-dessus, un au-dessous, et un de chaque côté ; ce qui fait une croix. Les cartes d’en haut signifient ce qui doit arriver bientôt, les cartes de droite ce qui arrivera dans un temps plus éloigné ; les cartes d’en bas sont pour le passé ; les cartes de gauche pour les obstacles ; les cartes du milieu pour le présent. On explique ensuite d’après les principes.

Mais c’en est assez sur la cartomancie. Nous n’avons voulu rien laisser ignorer du fondement de cette science aux dames qui consultent leurs cartes et qui doutent de Dieu. Cependant nous les prierons d’observer que ce grand moyen de lever le rideau qui nous cache l’avenir s’est trouvé quelquefois en défaut. Une des plus fameuses tireuses de cartes fit le jeu pour un jeune homme sans barbe qui s’était déguisé en fille. Elle lui promit un époux riche et bien fait, trois garçons, une fille, des couches laborieuses, mais sans danger. — Une dame qui commençait à hésiter dans sa confiance aux cartes se fit un jour une réussite pour savoir si elle avait déjeuné. Elle était encore à table devant les plats vides ; elle avait l’estomac bien garni ; toutefois les cartes lui apprirent qu’elle était à jeun, car la réussite ne put avoir lieu.

  1. Discours des sorciers, ch. liii.