Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Blokula
Blokula. Vers l’année 1670, il y eut en Suède, au village de Mohra, dans la province d’Elfdalen, une affaire de sorcellerie qui fit grand bruit. On y envoya des’juges. Soixante-dix sorcières furent condamnées à mort ; une foule d’autres furent arrêtées, et quinze enfants se trouvèrent mêlés dans ces débats.
On disait que les sorcières se rendaient de nuit dans un carrefour, qu’elles y évoquaient le diable à l’entrée d’une caverne en disant trois fois : « Antesser ! viens, et nous porte à Blokula ! »
C’était le lieu enchanté et inconnu du vulgaire où se faisait le sabbat. Le démon Antesser leur apparaissait sous diverses formes, mais le plus souvent en justaucorps gris, avec des chausses rouges ornées de rubans, des bas bleus, une barbe rousse, un chapeau pointu. Il les emportait à travers les airs à Blokula, aidé d’un nombre suffisant de démons, pour la plupart travestis en chèvres ; quelques sorcières plus hardies accompagnaient le cortège à cheval sur des manches à balai. Celles qui menaient des enfants plantaient une pique dans le derrière de leur chèvre ; tous les enfants s’y perchaient à califourchon à la suite de la sorcière, et faisaient le voyage sans encombre.
Quand ils sont arrivés à Blokula, ajoute la relation, on leur prépare une fête ; ils se donnent au diable, qu’ils jurent de servir ; ils se font une piqûre au doigt et signent de leur sang un engagement ou pacte ; on les baptise ensuite au nom du diable, qui leur donne des raclures de cloches. Ils les jettent dans l’eau en disant ces paroles abominables : « De même que cette raclure ne retournera jamais aux cloches dont elle est venue, que mon âme ainsi ne puisse jamais entrer dans le ciel !… »
La plus grande séduction que le diable emploie est la bonne chère, et il donne à ces gens un superbe festin, qui se compose d’un potage aux choux et au lard, de bouillie d’avoine, de beurre, de lait et de fromage. Après le repas, ils jouent et se battent ; et si le diable est de bonne humeur, il les rosse tous avec une perche, « ensuite de quoi il se met à rire à plein ventre ». D’autres fois il leur joue de la harpe.
Les aveux que le tribunal obtint apprirent que les fruits qui naissaient du commerce des sorcières avec les démons étaient des crapauds ou des serpents. Des sorcières révélèrent encore cette particularité, qu’elles avaient vu quelquefois le diable malade, et qu’alors il se faisait appliquer des ventouses par les sorciers de la compagnie.
Le diable enfin leur donnait des animaux qui les servaient et faisaient leurs commissions : à l’un un corbeau, à l’autre un chat, qu’ils appelaient emporteur, parce qu’on l’envoyait voler ce qu’on désirait et qu’il s’en acquittait habilement. Il leur enseignait à traire le lait par charme, de cette manière : le sorcier plante un couteau dans une muraille, attache à ce couteau un cordon qu’il tire comme le pis d’une vache, et les bestiaux qu’il désigne dans sa pensée sont traits aussitôt jusqu’à épuisement. Ils employaient le même moyen pour nuire à leurs ennemis, qui souffraient des douleurs incroyables pendant tout le temps qu’on tirait le cordon. Ils tuaient même ceux qui leur déplaisaient en frappant l’air avec un couteau de bois.
Sur ces aveux on brûla quelques centaines de sorciers, sans que pour cela il y en eût moins en Suède[1] ; mais ce qui est surprenant, c’est que les mêmes scènes de magie se reproduisent en Suède de nos jours. Voy. Magie.
- ↑ Bekker, le Monde enchanté.