Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Apollonie de Leuttershausen

Henri Plon (p. 42).

Apollonie de Leuttershausen. Cette femme vivait au temps où s’établit la réforme. Elle habitait avec son mari, Hans Geisselbrecht, le margraviat de Brandebourg. Son histoire a été publiée par Sixte Agricola et Georges Witmer (Ingolstadt, 1584). Gorres l’a résumée dans le quatrième volume de sa Mystique. Nous l’empruntons à ce grand ouvrage. — Hans Geisselbrecht était un chenapan qui passait sa vie à boire, à jurer et à maltraiter sa femme. Un matin, les voisines reprochèrent à la pauvre Apollonie le vacarme qui s’était fait toute la nuit chez elle. Furieuse de subir des reproches après tout ce qu’elle endurait de son mari, elle s’écria : — Si le bon Dieu ne veut pas me délivrer de cet homme violent, eh bien, que le diable vienne à mon aide. — Le soir, lorsque le bétail fut rentré, elle s’en alla traire ses vaches. Alors elle vit voler autour de sa tête deux oiseaux qui semblaient des corbeaux, quoique à cette époque il n’y en eût plus dans le pays. Puis un homme de haute taille parut à ses côtés et lui dit : — Ah ! ma pauvre femme, j’ai bien pitié de vous et de votre triste sort, avec un affreux mari qui dévorera tout ce que vous possédez. Si vous voulez être à moi, je vais vous conduire à l’instant en un lieu charmant où vous pourrez boire, manger, chanter, danser à votre aise, et mener une vie comme vous n’en avez jamais mené jusqu’ici, car le ciel n’est pas tel que vous le représentent vos prêtres ; je vous ferai voir bien autre chose. — Apollonie, sans plus réfléchir, donna sa main à l’inconnu en disant qu’elle voulait bien être à lui. Aussitôt elle fut possédée. Les voisins, un instant après, accoururent à ses cris, car elle venait de se jeter dans un égout situé près de son étable, et elle pouvait s’y noyer. Comme on la remportait dans sa maison, elle s’écriait : — Laissez-moi ! ne voyez-vous pas la vie délicieuse que je mène ; je ne fais que boire, manger, chanter et danser[1]… Il paraît que les exorcismes la guérirent, et nous n’avons pas la suite de son histoire.


  1. La mystique divine, naturelle et diabolique, par Gorres, traduit de l’allemand par M. Charles Sainte-Foi.