Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Antipathie

Henri Plon (p. 41).
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Antipathie. Les astrologues prétendent que ce sentiment d’opposition qu’on ressent pour une personne ou pour une chose est produit par les astres. Ainsi deux personnes nées sous le même aspect auront un désir mutuel de se rapprocher, et s’aimeront sans savoir pourquoi ; de même que d’autres se haïront sans motif, parce qu’elles seront nées sous des conjonctions opposées. Mais comment expliqueront-ils les antipathies que les grands hommes ont eues pour les choses les plus communes ? On en cite un grand nombre auxquelles on ne peut rien comprendre. La Mothe-le-Vayer ne pouvait souffrir le son d’aucun instrument, et goûtait le plus vif plaisir au bruit du tonnerre. César n’entendait pas le chant du coq sans frissonner. Le chancelier Bacon tombait en défaillance toutes les fois qu’il y avait une éclipse de lune. Marie de Médicis ne pouvait supporter la vue d’une rose, pas même en peinture, et elle aimait toutes les autres fleurs. Le cardinal Henri de Cardonne éprouvait la même aversion, et tombait en syncope lorsqu’il sentait l’odeur des roses. Le maréchal d’Albret se trouvait mal dans un repas où l’on servait un marcassin ou un cochon de lait. Henri III ne pouvait rester seul dans une chambre où il y avait un chat. Le maréchal de Schomberg avait la même faiblesse. Ladislas, roi de Pologne, se troublait et prenait la fuite quand il voyait des pommes. Scaliger frémissait à l’aspect du cresson. Érasme ne pouvait sentir le poisson sans avoir la fièvre. Tycho-Brahé défaillait à la rencontre d’un lièvre ou d’un renard. Le duc d’Épernon s’évanouissait à la vue d’un levraut. Cardan ne pouvait souffrir les œufs ; le poète Arioste, les bains ; le fils de Crassus, le pain ; Jules César Scaliger, le son de la vielle.

On trouve souvent la cause de ces antipathies dans les premières sensations de l’enfance. Une dame qui aimait beaucoup les tableaux et les gravures s’évanouissait lorsqu’elle en trouvait dans un livre ; elle en dit la raison : étant encore petite, son père l’aperçut un jour qui feuilletait les volumes de sa bibliothèque pour y chercher des images ; il les lui retira brusquement des mains, et lui dit d’un ton terrible qu’il y avait dans ces livres des diables qui l’étrangleraient si elle osait y toucher… Ces menaces absurdes, ordinaires à certains parents, occasionnent toujours de funestes effets qu’on ne peut souvent plus détruire.

Pline assure qu’il y a une telle antipathie entre le loup et le cheval, que si le cheval passe où le loup a passé, il sent aux jambes un engourdissement qui l’empêche de marcher. Un cheval sent le tigre en Amérique, et refuse obstinément de traverser une forêt où son odorat lui annonce la présence de l’ennemi. Les chiens sentent aussi très-bien les loups, avec lesquels ils ne sympathisent pas ; et peut-être serions-nous sages de suivre jusqu’à un certain point, avec les gens que nous voyons la première fois, l’impression sympathique ou antipathique qu’ils nous font éprouver, car l’instinct existe aussi chez les hommes mêmes, qui le surmontent plus ou moins à propos par la raison.