Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Adam (l’abbé)

Henri Plon (p. 6-7).
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Adam (l’abbé). Il y eut un temps où l’on voyait le diable en toutes choses et partout, et peut-être n’avait-on pas tort. Mais il nous semble qu’on le voyait trop matériellement. Le bon et naïf Césaire d’Heisterbach a fait un livre d’histoires prodigieuses où le diable est la machine universelle ; il se montre sans cesse et sous diverses figurés palpables. C’était surtout à l’époque où l’on s’occupait en France de l’extinction des templiers. Alors un certain abbé Adam, qui

 
Adam (l’abbé)
Adam (l’abbé)
 
gouvernait l’abbaye des Vaux-de-Gernay, au diocèse de Paris, avait l’esprit tellement frappé de l’idée que le diable le guettait, qu’il croyait le reconnaître à chaque pas sous des formes que sans doute le diable n’a pas souvent imaginé de prendre. — Un jour qu’il revenait de visiter une de ses petites métairies, accompagné d’un serviteur aussi crédule que lui, l’abbé Adam racontait comment le diable l’avait harcelé dans son voyage. L’esprit malin s’était montré sous la figure d’un arbre blanc de frimas, qui semblait venir à lui. — C’est singulier, dit un de ses amis ; n’étiez-vous pas la proie de quelque illusion causée par la course de votre cheval ? — Non, c’était Satan. Mon cheval s’en effraya ; l’arbre pourtant passa au galop et disparut derrière nous, il laissait une certaine odeur qui pouvait bien être du soufre. — Odeur de brouillard, marmotta l’autre. — Le diable reparut, et cette fois c’était un chevalier noir qui s’avançait vers nous pareillement. — Éloigne-toi, lui criai-je d’une voix étouffée. Pourquoi m’attaques-tu ? Il passa encore, sans avoir l’air de s’occuper de nous. Mais il revint une troisième fois, ayant la forme d’un homme grandit pauvre, avec un cou long et maigre. Je fermai les yeux et ne le revis que quelques instants plus tard sous le capuchon d’un petit moine. Je crois qu’il avait sous son froc une rondache dont il me menaçait. — Mais, interrompit l’autre, ces apparitions ne pouvaient-elles pas être des voyageurs naturels ? — Comme si on ne savait pas s’y reconnaître ! comme si nous ne l’avions pas vu derechef sous la figure d’un pourceau, puis sous celle d’un âne, puis sous celle d’un tonneau qui roulait dans la campagne, puis enfin sous la forme d’une roue de charrette qui, si je ne me trompe, me renversa, sans toutefois me faire aucun mal ! — Après tant d’assauts, la route s’était achevée sans autres mal-encontres[1]. Voy. Hallucinations.

  1. Robert Gaguin, Philipp.