Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Œufs

Henri Plon (p. 500-501).
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Œufs. On doit briser la coque des œufs frais, quand on les a mangés, par pure civilité ; aussi cet usage est-il pratiqué par les gens bien élevés, dit M. Salgues[1] ; cependant il y a des personnes qui n’ont pas coutume d’en agir ainsi. Quoi qu’il en soit, cette loi remonte à une très-haute antiquité. On voit, par un passage de Pline, que les Romains y attachaient une grande importance. L’œuf était regardé comme l’emblème de la nature, comme une substance mystérieuse et sacrée. On était persuadé que les magiciens s’en servaient dans leurs conjurations, qu’ils le vidaient et traçaient dans l’intérieur des caractères magiques dont la puissance pouvait opérer beaucoup de mal. On en brisait les coques pour détruire les charmes. Les anciens se contentaient quelquefois de les percer avec un couteau, et dans d’autres moments de frapper trois coups dessus. Les œufs leur servaient aussi d’augure. Julie, fille d’Auguste, étant grosse de Tibère, désirait ardemment un fils. Pour savoir si ses vœux seraient accomplis, elle prit un œuf, le mit dans son sein, l’échauffa ; quand elle était obligé de le quitter, elle le donnait à une nourrice pour lui conserver sa chaleur. L’augure fut heureux, dit Pline : elle eut un coq de son œuf et mit au monde un garçon[2].

Les druides pratiquaient, dit-on, cette superstition étrange ; ils vantaient fort une espèce d’œuf inconnu à tout le monde, formé en été par une quantité prodigieuse de serpents entortillés ensemble, qui y contribuaient tous de leur bave et de l’écume qui sortait de leur corps. Aux sifflements des serpents, l’œuf s’élevait en l’air ; il fallait s’en emparer alors, avant qu’il touchât la terre : celui qui l’avait reçu devait fuir ; les serpents couraient tous après lui jusqu’à ce qu’ils fussent arrêtés par une rivière qui coupât leur chemin[3]. Ils faisaient ensuite des prodiges avec cet œuf.

Aujourd’hui on n’est pas exempt de bien des superstitions sur l’œuf. Celui qui en mange tous les matins sans boire meurt, dit-on, au bout de l’an. Il ne, faut pas brider les coques des œufs, suivant une croyance populaire superstitieuse, de peur de brider une seconde fois saint Laurent, qui a été brûlé sur un feu nourri de pareils aliments[4]. Albert le Grand nous apprend, dans ses Secrets, que la coque d’œuf, broyée avec du vin blanc et bue, rompt les pierres tant des reins que de la vessie.

Pour la divination par les blancs d’œufs, voyez Oomancie, Garuda, etc.


  1. Des erreurs et des préjugés, t. I, p. 392.
  2. Cicéron rapporte qu’un homme ayant rêvé qu’il mangeait un œuf frais alla consulter l’interprète des songes, qui lui dit que le blanc d’œuf signifiait qu’il aurait bientôt de l’argent, et le jaune, de l’or. Il eut effectivement peu après une succession où il y avait de l’un et de l’autre. Il alla remercier l’interprète, et lui donna une pièce d’argent. L’interprète, en le reconduisant, lui dit : — Et pour le jaune n’y a-t-il rien ? Nihilne de vitello ?
  3. Pline, liv. XXIX, ch. iii.
  4. Thiers, Traité des superstitions, etc.